jeudi 28 mai 2009

Table ronde à Nantes : Géorgie 8 mois après la guerre, état des lieux


Radiodiffusion de la table ronde du 13 mai 2009 à Nantes, dans le cadre du jumelage Nantes-Tbilissi. Dans cette discussion organisée par l'Université de Nantes et animée par Ulrich Huygevelde, les invités Isabelle Facon, Philippe Perchoc et Nicolas Landru reviennent sur les causes et les conséquences de la guerre d'aout 2008, font le bilan de la situation économique, géopolitique et politique en Géorgie au printemps 2009 et tentent d'établir les perspectives qui s'annoncent pour le pays.
Euradionantes diffuse cette discussione en ligne, en podcast :
http://www.euradionantes.eu/index.php?page=detailPodcast&id_podcast=2549&id_programme=27

mardi 19 mai 2009

Manifestations d’avril en Géorgie : ni révolution, ni évolution




Des opposants montent des tentes devant la résidence présidentielle à Tbilissi © RFE/RL

Par Nicolas LANDRU
Articles paru dans Caucaz.com le 17/04/09

Le 9 avril, jour de deuil national hautement symbolique en Géorgie, avait été annoncé par l’hétéroclite opposition politique comme point de départ d’une nouvelle course à la mobilisation populaire contre le régime du président Mikhaïl Saakachvili. Le but avoué d’une majorité de ces forces politiques était d’amener la rue à faire partir ce président qu’elle considère comme illégitime. Affaiblis par la perte des élections présidentielle et parlementaires de 2008, devenus muets pendant la guerre éclair d’août 2008 avec la Russie, les partis d’opposition ont tenu leur promesse et, depuis plus d’une semaine, investissent la rue. Mais le souffle battant de l’hiver 2007-2008 ne semble pas être au rendez-vous. Le gouvernement a changé de ton et prône le dialogue. Une stratégie qui ne convient guère à un mouvement qui parvient mal à remobiliser les foules à Tbilissi.



Depuis la sévère crise politique qui avait duré des manifestations de novembre 2007 aux élections parlementaires de juin 2008 perdues par l’opposition, les troubles internes qui avaient marqué la Géorgie avaient été relégués au second plan derrière l’urgence de la guerre d’août 2008 avec la Russie. Cette dernière avait marqué une pause dans les affrontements entre un bloc d’opposition précaire et le régime de Mikhaïl Saakachvili, tous les leaders de l’opposition ayant joué la carte de l’« unité nationale » derrière le président pendant le conflit.

Un difficile après-guerre pour l’opposition

La guerre a mal masqué le profond dysfonctionnement de l’équilibre majorité-opposition mis à mal par un perpétuel dialogue de sourds, l’utilisation de méthodes radicales et un contournement de la voie institutionnelle des deux côtés. Elle avait pourtant brusquement détourné l’attention publique, tant en Géorgie que pour le public international, d’une période dense en évènements aussi préoccupants que manifestations longues et massives, répression policière, état d’urgence, élection présidentielle anticipée, flous sur la légitimité des scrutins, instabilité et réversibilité des coalitions d’opposition.

Ce n’est que fin septembre 2008 que les leaders d’opposition avaient de nouveau élevé la voix, pointant cette fois la responsabilité du président Saakachvili dans l’avènement de la guerre et la victoire russe. Mais la vague de mécontentement populaire sur laquelle elle avait surfé s’est vite dissipée après le choc de la confrontation militaire. Une rupture dans la logique des partis anti-Saakachvili avait aussi été entamée : les thèmes de la falsification des élections et des violations des droits civiques par les autorités pendant les manifestations de novembre 2007 et les campagnes électorales, clés de voûte du discours de l’opposition avant-guerre, ont été quasiment abandonnés.

C’est que la guerre a été un traumatisme pour le pays. Outre le défi de l’urgence humanitaire face à la vague de réfugiés, ceux de la reconstruction des infrastructures détruites et d’une réorientation vis-à-vis d’une Abkhazie et d’une Ossétie du Sud désormais entièrement coupées de la Géorgie, ou ceux du constat d’une armée sévèrement atteinte et d’une Russie plus que jamais menaçante, doublés de la crise économique mondiale qui n’épargne pas la Géorgie, l’atmosphère politique s’est tendue d’un cran de plus.

L’opposition n’a que lentement reconstitué son discours contre le régime. La remise en place d’une alliance en bloc de ses divers composants a été difficile, tout comme la mise au point d’un nouvel agenda. Dans celui-ci, le mouvement contestataire espérait faire du 9 avril, jour de la commémoration de la répression des manifestations pacifiques de 1989 par l’armée rouge, le départ d’une nouvelle colère populaire à Tbilissi.

Une mobilisation peu endurante

Le 9 avril, après avoir célébré la mémoire des vingt victimes de la répression de 1989 aux côtés du président Saakachvili, les leaders de l’opposition avaient, d’après divers observateurs extérieurs, rassemblé quelque 50.000 personnes devant le Parlement géorgien pour réclamer la démission de Saakachvili. Ce chiffre représente environ la moitié des manifestations de janvier 2008 ayant fait suite à la réélection du président. Les contestataires déclaraient lancer un mouvement qui ne devrait prendre fin qu’avec la démission du président en place.

Le lendemain, alors que les leaders décidaient d’étendre les manifestations à différents endroits de la ville, dont le quartier d’Avlabari, autour de la résidence présidentielle, le nombre de manifestants avait décru sensiblement, certains observateurs parlant d'environ 25.000 personnes. Le 11 avril, la mobilisation s’essoufflait derechef, certains évoquant 4.000 à 6.000 personnes manifestant dans les rues de la capitale. Annonçant une pause pour le dimanche des rameaux orthodoxe, les leaders d’opposition parlaient pourtant d’une étendue du mouvement à l’ensemble de la Géorgie pour le lundi 13.

Alors que le mouvement se concentrait sur l’installation d’une trentaine de tentes autour de la résidence présidentielle, ainsi que sur un blocage de la station de télévision publique, occasionnant mardi soir la coupure d’un axe routier important, quelques centaines d’activistes font encore pression dans la rue à la veille du week-end de la pâque orthodoxe.
En contraste, les leaders parlent plus que jamais de lancer une campagne dans les provinces, généralement peu mobilisables, politiquement actives et électoralement acquises au régime en place. Après une hésitation face aux célébrations religieuses des 17 au 20 avril, les principaux leaders ont néanmoins déclaré vouloir poursuivre les manifestations à Tbilissi.

L’introuvable dialogue

Au cours de cette semaine de manifestation, une poignée d’incidents violents ont été dénoncés par l’opposition, notamment le 11 avril au soir, où selon eux une cinquantaine de personnes auraient attaqué les quartiers généraux des manifestants, détruisant notamment du matériel informatique. Le 14 avril, trois activistes de l’opposition auraient été battus par des hommes masqués en marge des campements autour de la résidence présidentielle.

Mais en dehors de ces débordements sujets à de vives controverses entre gouvernement et opposition, les autorités se sont pour l’instant contentées d’opter pour un encadrement policier des manifestations, sans donner de signes d’une escalade possible vers la répression physique. Le spectre du 7 novembre 2007, où les manifestations avaient été violemment dissoutes par les forces de l’ordre, est dans touts les esprits. Il laisse un grand point d’interrogation sur les possibles formes d’issue à ces évènements dont la rhétorique et la configuration, à l’exception, non des moindres, du nombre de manifestants, ne diffèrent guère de novembre 2007.

La suite des évènements est d’autant plus incertaine qu’aucune évolution n’est décelable dans les rapports entre opposition et gouvernement. Depuis une semaine, la même constellation qui prévaut depuis deux ans s’est une fois de plus affirmée. Le gouvernement a proposé comme compromis une mesure politique, le changement du mode d’élection du maire de Tbilissi, que l’opposition qualifie de dérisoire. L’opposition invite le président à un type de confrontation, un débat télévisé, que le gouvernement lui refuse. Le gouvernement appelle l’opposition au dialogue, mais cette dernière considère ce dernier inacceptable après l’emploi de la violence contre elle dans la soirée du 11 avril. Le gouvernement met à jour une tentative de complot orchestré par la Russie, par l’arrestation d’un « provocateur » russe, ouvrant sur une rhétorique de la trahison mettant à mal la légitimité de l’opposition politique. Laquelle se donne comme unique finalité le départ irrémédiable du président...

Ce cercle de l’absence du compromis et du dialogue, alimenté par des rhétoriques respectives qui se reposent à leur tour sur lui, s’est de nouveau installé dans la vie publique, dans les médias et dans la rue, entièrement au dehors des institutions démocratiques. Telle semble être la constante d’une relation entre gouvernement et opposition qui s’est mise en place dès la deuxième année ayant suivi la "révolution des Roses" et que pas même une guerre sur le territoire géorgien n’a enterré.

Autre question clé concernant l’issue du mouvement : les leaders d’opposition, anciens comme Levan Gatchétchiladze, David Gamkrelidze, et nouveaux tels qu’Irakli Alasania ou Nino Bourdjanadze, parviendront-t-ils encore à surmonter leurs profondes divergences ? Quoi qu’il en soit, il semble difficilement envisageable que ce mouvement d’avril puisse se montrer en mesure de répéter le scénario de la "révolution des Roses", sur lequel les leaders oppositionnels placent une fois de plus leurs espoirs. La majorité des Géorgiens semble ne pas être prêts à s’engager sur cette voie incertaine. Le pays ne s’est pas encore remis de la secousse d’août 2008, et la menace d’une nouvelle invasion russe reste pour l’instant le meilleur allié aux côtés du régime en place.

April demonstrations in Georgia: neither revolution nor evolution


Opposition members set up tents in front of the presidential residence in Tbilisi. © RFE/RL

By
Nicolas LANDRU, translated by Christian Larson
Published in Caucaz.com on May 16, 2009


Georgia’s political opposition announced April 9, a highly symbolic day of national mourning, as the starting point for a new round of popular mobilisation against President Mikhail Saakashvili’s regime. The avowed goal of a majority of these political forces was to rally in the streets in order to force out the president they consider illegitimate. Weakened by the loss of 2008’s presidential and parliamentary elections, and silent during the August 2008 war with Russia, the opposition parties kept their promise and have filled the streets for more than a week already. But the winds of change from the winter of 2007-2008 do not seem to be present. The government has changed its tone and appears to be leaning towards dialogue, a strategy that hardly suits the opposition movement which is experiencing difficulty in mobilising crowds in Tbilisi again.


During the severe political crisis which lasted from the November 2007 demonstrations to the June 2008 parliamentary elections which the opposition lost, the internal troubles which marked Georgia were relegated to the back burner due to the urgency of the August 2008 war with Russia. The later demarcated a pause in the clashes between a precarious opposition block and Mikhail Saakashvili’s regime, all opposition leaders having rallied in “national unity” behind the president during the conflict.

A difficult post-war situation for the opposition

The war poorly masked the seriously dysfunctional imbalance between the opposition and the majority, put into a bad state by both parties’ perpetually deaf dialogues, the use of radical methods and an about face on the road towards institutionalisation. The war did manage, however, to divert the public’s attention, as much in Georgia as in the rest of the world, from a period filled with preoccupying such as massive, long demonstrations, police repression, a state of emergency, an anticipated presidential election, questions about the legitimacy of the elections, instability and the reversibility of the opposition coalitions.

It wasn’t until the end of September 2008 that the opposition leaders raised their voices again, pointing this time at President Saakashvili’s responsibility for the advent of the war and Russia’s victory. But the wave of popular discontent on which the opposition surfed quickly dissipated following the shock of military confrontation. And the logic of the anti-Saakashvili parties was ruptured: the opposition nearly abandoned its electoral campaign demonstrations and its November 2007 themes of election falsification and civil rights violations by the authorities, key talking points in the pre-war opposition’s discourse.

It’s because the war was traumatic for the country. There are a number of consequent challenges: the humanitarian emergency stemming from the wave of refugees, the reconstruction of destroyed infrastructure and a reorientation towards an Abkhazia and South Ossetia now entirely cut off from Georgia. Combine that with the challenges of a severely battered army, a Russia that is more menacing that ever, and the fact that the global economic crisis has not spared Georgia, and the political environment is that much more tense.

The opposition has only slowly reconstituted its discourse against the regime. The recreation of an alliance composed of diverse members was difficult, as was the laying out of a new agenda. This new agenda hoped to make April 9, which commemorates the Red Army’s 1989 repression of peaceful protests, the starting point for a new popular anger in Tbilisi.

Short-lived mobilisation

After having stood by President Saakashvili’s side on April 9th to celebrate the memory of the 1989 repression’s twenty victims, according to numerous outside observers, opposition leaders assembled some 50,000 people in front of the Georgian parliament to call for Saakashvili’s resignation. This figure is approximately half the number of people who demonstrated in January 2008 following the president’s re-election. The demonstrators announced the launching of a movement which would end only with the resignation of the current president.

The next day, when the leaders decided to extend the demonstrations to different parts of the city, including near the presidential residence in the Avlabari neighbourhood, the number of demonstrators noticeably decreased. Some observers spoke of approximately 25,000 people. On April 11, mobilisation waned further, with some saying between 4,000 and 6,000 people were demonstrating in the streets of the capital. Despite announcing a break for the Orthodox Ram’s Sunday, opposition leaders spoke on the 13 of extending the movement throughout Georgia.

Although the movement focused on setting up some thirty tents around the presidential residence, as well as blockading the public television station and cutting off of an important road, several hundred activists continued to rally in the streets the weekend of Orthodox Easter.

In contrast, the leaders spoke more than ever of launching a campaign in the provinces, which are usually difficult to mobilize, not very politically active and tend to vote for the regime in power. After hesitating in the face of the April 17 and April 20 religious celebrations, the main leaders nonetheless declared their desire to continue the demonstrations in Tbilisi.

Elusive dialogue

During the week of demonstrations, the opposition denounced a handful of violent incidents, notably on the evening of April 11, when they say fifty people attacked the demonstrators’ headquarters, destroying mostly informational materials. On April 14, masked men beat three opposition activists on the edge of the camps around the presidential residence.

But apart from these outbursts between the government and the opposition, the authorities are content for the time to simply police the demonstrations. There are no indications as of yet of a possible escalation towards physical repression. The spectre of November 7, 2007, when demonstrators were violently disbanded by the security forces, is on everyone’s mind. The question lingers what changes these events may bring in terms of rhetoric and strategy; the number of demonstrators is hardly different from that of November 2007.

What comes next is all the more uncertain given that there has been no perceivable change in the relations between the opposition and the government. Over the past week now, the same group that has prevailed for two years has again reaffirmed itself. As a compromise the government has proposed changes to the electoral process for the mayor of Tbilissi, a political move which the opposition considers hollow. The opposition has invited the president to a confrontation of sorts, a televised debate, which the government has refused. The government has called for dialogue with the opposition, but the latter considers the offer to be unacceptable given April 11th’s se of violence. In arresting a Russian “provocateur”, the government claims to have revealed a plot orchestrated by Russia, using the rhetoric of treason to hurt the legitimacy of the political opposition. The story goes that the opposition insists on the Presidents’ definitive departure…

This vicious circle of no compromise or dialogue, fed by rhetoric that is turned back upon its promulgators, has reappeared in public life, in the media and in the streets, completely outside any democratic institutions. This appears to be the constant in government-opposition relations since the second year following the “Rose Revolution”. Not even a war on Georgian soil could alter the dynamic.

Another key question about the movement: Will the older opposition leaders such as Levan Gachechiladze and David Gamkrelidze manage to overcome their differences with the newer leaders such as Irakli Alasania and Nino Burdjanadze? Come what may, it is difficult to imagine that the April movement will manage to repeat the “Rose Revolution”, a scenario on which the opposition leaders are once again pinning their hopes. Most Georgians do not seem ready to head down that uncertain path. The country has not yet finished licking its wounds from August 2008, and the threat of a new Russian invasion seems for the time being to be the current regime’s best ally.

Aprildemonstrationen in Georgien: weder Revolution noch Evolution


Oppositionelle bauen Zelte vor der Residenz des Präsidenten in Tbilissi auf. © RFE/RL

Von Nicolas LANDRU, übersetzt von Jennifer EGGERT
Veröffentlicht in Caucaz.com am 21/04/2009

Der 9. April, der in Georgien hoch symbolbehaftete nationale Trauertag, war von der uneinheitlichen politischen Opposition als Ausgangspunkt für einen neuen Anlauf zur Mobilisierung der Bevölkerung gegen das Regime des Präsidenten Michail Saakaschwili angekündigt worden. Das erklärte Ziel eines Großteils dieser politischen Kräfte war es, die Menschen auf der Straße dazu zu bringen, den von der Opposition als illegitimen Amtsinhaber betrachteten Präsidenten abzusetzen. Die Oppositionsparteien, die durch die Niederlage während der Präsidentschafts- und Parlamentswahlen 2008 geschwächt wurden und während des Blitzkrieges gegen Russland im August 2008 stumm geblieben waren, haben nun ihr Versprechen doch gehalten und besetzen seit über einer Woche die Straßen. Doch von der kämpferischen Atmosphäre vom Winter 2007 / 2008 ist wenig zu verspüren. Die Regierung hat einen anderen Ton angeschlagen und predigt den Dialog. Eine Strategie, die der Protestbewegung, die die erneute Mobilisierung der Massen in Tbilissi bisher nicht erreicht, kaum entgegen kommt.



Seit der tiefen politischen Krise, die von den Demonstrationen im November 2007 bis zu den von der Opposition verlorenen Parlamentswahlen im Juni 2008 gedauert hatte, waren die internen Unruhen, von denen Georgien gezeichnet war, angesichts der Aktualität des Krieges mit Russland im August 2008 in den Hintergrund getreten. Der Krieg gegen Russland bedeutete eine Ruhepause zwischen den Auseinandersetzungen des uneinheitlichen Oppositionsbündnisses mit dem Regime Michail Saakaschwilis, da sich während des Konflikts alle Oppositionsführer als Anhänger der „nationalen Einheit“ hinter den Präsidenten stellten.

Schwierige Nachkriegszeit für die Opposition

Der Krieg verbarg nur schlecht die tiefgehende Störung des Gleichgewichts zwischen Mehrheit und Opposition, das zunichte gemacht wurde durch einen fortwährenden „Dialog der Gehörlosen“, den Gebrauch von radikalen Methoden und eine Umgehung des institutionellen Wegs von beiden Seiten. Dennoch wurde durch den Krieg die Aufmerksamkeit der georgischen und internationalen Öffentlichkeit abgelenkt von einer Zeit voller besorgniserregender Ereignisse wie den langen und massiven Demonstrationen, der Polizeirepression, dem Ausnahmezustand, der vorgezogenen Präsidentschaftswahl, Unregelmäßigkeiten bezüglich der Legitimität der Wahl sowie der Instabilität und des Wankelmuts der Oppositionskoalitionen.

Erst Ende September 2008 meldeten sich die Oppositionsführer erneut zu Worte und wiesen auf die Verantwortung Präsident Saakaschwilis am Ausbruch des Krieges und dem Sieg der russischen Armee hin. Doch die Welle der Unzufriedenheit der Bevölkerung, welche die Opposition zuvor mitgetragen hatte, löste sich nach dem Schock der militärischen Auseinandersetzung schnell auf. So kam es zu einem Bruch in der Logik der Anti-Saakaschwili-Parteien: Die Wahlfälschungen und die Verstöße gegen die Bürgerrechte durch die Behörden während der Demonstrationen im November 2007 und des Wahlkampfes, welche thematisch die Grundpfeiler der Argumentationslinie der Opposition vor dem Krieg dargestellt hatten, wurden quasi nicht mehr beachtet.

Der Krieg stellte ein Trauma für das Land dar. Das Land sah sich zunächst der Herausforderung der durch eine Welle von Flüchtlingen ausgelösten humanitären Notsituation gegenüber, dann dem Wiederaufbau der zerstörten Infrastruktur und dem Umdenken gegenüber Abchasien und Südossetien, die von nun an vollkommen von Georgien getrennt waren. Außerdem war man konfrontiert mit dem Zustand der Armee, die schwer Schaden genommen hatte und mit der Tatsache, dass Russland nun mehr als jemals zuvor eine Bedrohung darstellte, sowie mit der weltweiten Wirtschaftskrise, von der auch Georgien nicht verschont ist. So spannte sich die politische Atmosphäre noch weiter an.

Nur langsam baute die Opposition ihren Argumentationsstrang gegen das Regime wieder auf. Die Wiederherstellung eines einheitlichen Zusammenschlusses der verschiedenen Einzelgruppen war schwierig, genauso wie die Abstimmung auf eine neue Agenda. Entsprechend diesem Programm hoffte die Protestbewegung den 9. April, den Gedenktag an die Niederschlagung der friedlichen Demonstrationen durch die Rote Armee im Jahre 1989, zum Ausgangspunkt einer neuen Welle des Volkszorn in Tbilissi machen zu können.

Eine kaum andauernde Mobilisierung

Nachdem sie am 9. April an der Seite Präsident Saakaschwilis das Gedenken an die 20 Opfer der Repression 1989 begangen hatten, sammelten die Oppositionsführer laut mehreren unabhängigen Beobachtern um die 50.000 Menschen um sich, um vor dem georgischen Parlament die Abdankung Saakaschwilis zu fordern. Diese Zahl stellt ungefähr die Hälfte der Demonstranten vom Januar 2008 dar, die damals in Folge der Wiederwahl des Präsidenten protestiert hatten. Die Gegner des Präsidenten erklärten eine Bewegung anzustoßen, die erst mit dem Rücktritt des derzeitigen Präsidenten ein Ende nehmen sollte.

Am darauf folgenden Tag, als die Oppositionsführer entschieden, die Demonstrationen auf weitere Teile der Stadt auszuweiten, darunter auch das Viertel Avlabari im Umkreis der Präsidentenresidenz, war die Zahl der Demonstranten empfindlich gesunken. Nach Angaben von Beobachtern belief sich die Zahl auf 25.000. Am 11. April ging der Mobilisierung einmal mehr der Atem aus, als nach einigen Quellen nur mehr 4000 bis 6000 Personen in den Straßen der Hauptstadt demonstrierten. Während sie eine Pause für den orthodoxen Palmsonntag ankündigten, sprachen die Führer der Opposition doch gleichzeitig von einer Ausweitung der Bewegung auf Gesamtgeorgien für Montag, den 13. April.

Während die Bewegung sich auf den Aufbau von etwa 30 Zelten im Umkreis der Präsidentenresidenz und auf die Belagerung der öffentlichen Fernsehstation konzentrierte, was Dienstagabend zur Blockierung einer wichtigen Verkehrsachse führte, übten am Vorabend des orthodoxen Osterwochenendes noch einige hundert Aktivisten Druck auf der Straße aus. Im Kontrast dazu sprachen die Oppositionsführer mehr als zuvor davon, eine Kampagne in den Provinzen außerhalb der Hauptstadt, die allgemein nur schwer zu mobilisieren und politisch inaktiv sind und bei Wahlen zum derzeitigen Regime tendieren, lostreten zu wollen. Nach einigem Zögern angesichts der religiösen Feierlichkeiten zwischen dem 17. und 20. April erklärte die Spitze der politischen Opposition dennoch, die Demonstrationen in Tbilissi fortsetzen zu wollen.

Kein Dialog in Sicht

Im Laufe der von den Demonstrationen gezeichneten Woche wurde von der Opposition eine Handvoll gewalttätiger Zwischenfälle angeprangert, davon besonders der Abend des 11. April, an dem laut Oppositionsangaben von etwa 50 Personen die Hauptquartiere der Demonstranten angegriffen und Computerausstattung zerstört worden seien. Am 14. April seien drei oppositionelle Aktivisten von maskierten Männern am Rande der Zeltansammlung um die Präsidentenresidenz zusammengeschlagen worden.

Doch abgesehen von diesen Ausgleitungen, die Inhalt heftiger Kontroversen zwischen Regierung und Opposition wurden, begnügten sich die Behörden erst einmal damit, eine polizeiliche Einrahmung der Demonstrationen durchzuführen, ohne dabei Anzeichen für eine mögliche Eskalation in Richtung physischer Gewalt zu geben. Das Schreckgespenst des 7. Novembers 2007, an dem die Demonstrationen von den Ordnungskräften gewaltsam aufgelöst wurden, ist in aller Köpfe. Vor allem hinterlässt es ein großes Fragezeichen bezüglich des möglichen Ausgangs dieser Ereignisse, die in Rhetorik und Gestalt – bis auf die allerdings unbedeutende Zahl der Demonstranten – sich kaum von denen vom November 2007 unterscheiden.

Der Fortlauf der Ereignisse wird dadurch noch unsicherer, dass keine Fortschritte in der Beziehung zwischen Opposition und Regierung auszumachen sind. Seit einer Woche hat sich die gleiche Konstellation, die seit zwei Jahren vorherrscht, noch einmal klar abgezeichnet. Die Regierung schlug als Kompromiss eine politische Maßnahme vor, nämlich die Änderung des Ablaufs der Bürgermeisterwahl in Tbilissi, was die Opposition als lächerlich bezeichnet. Die Opposition fordert den Präsidenten zu einer Art Konfrontation, einer Fernsehdebatte auf, was jedoch die Regierung ablehnt. Die Regierung ruft die Opposition zum Dialog auf, den die Opposition nach den Gewaltanwendungen gegen sie vom 11. April als inakzeptabel ansieht. Die Regierung stellt das Ganze als einen durch Russland organisierten Komplottversuch dar, nimmt einen russischen „Provokateur“ fest und startet so eine um Verrat kreisende Argumentationslinie, die die Legitimität der politischen Opposition zunichte macht. Diese wiederum sieht den unumkehrlichen Abgang des Präsidenten als einzigen möglichen Ausgang der Geschehnisse…

Dieser Kreislauf des fehlenden Kompromisses und Dialogs, der noch gestärkt wird durch die jeweiligen Argumentationsweisen, die sich auf ihn stützen, ist von Neuem im öffentlichen Leben, in den Medien und auf der Straße eingekehrt, vollständig außerhalb der demokratischen Strukturen. Dies scheint die Konstante in den Beziehungen zwischen Regierung und Opposition zu sein, die sich seit dem zweiten Jahr nach der Rosenrevolution durchgesetzt hat und selbst durch einen Krieg auf georgischem Territorium nicht ad acta gelegt wurde.

Eine weiteres Schlüsselthema bezüglich des Ausgangs der Protestbewegung ist die Frage ob die Oppositionsführer, darunter alte wie Levan Gatschetschiladse oder David Gamkrelidse und neue wie Irakli Alasania oder Nino Bourdschanadse, es schaffen, ihre tiefen Unstimmigkeiten zu überwinden. Wie dem auch sein mag scheint es nur schwer denkbar, dass die Bewegung der Aprildemonstranten sich in der Lage zeigen wird, das Szenario der Rosenrevolution zu wiederholen, auf das die Oppositionsführer auch dieses Mal ihre Hoffnungen setzen. Der Großteil der Georgier scheint nicht bereit zu sein, sich auf diesen unsicheren Weg einzulassen. Das Land hat sich von der Erschütterung erholt, von der es im August 2008 getroffen wurde und die Bedrohung einer erneuten russischen Invasion bleibt im Moment der wichtigste Verbündete des derzeitigen Regimes.

vendredi 17 avril 2009

Le rôle des macroperspectives appliquées aux conflits de Géorgie



Par Nicolas Landru


La recherche occidentale et post-soviétique prenant comme objet les conflits séparatistes de Géorgie et qui forme une discipline spécialisée, la « conflictologie » (1), utilise principalement trois macroperspectives dont elle met souvent en avant l’intercorrélation. Selon ce courant d’analyse, la rencontre de phénomènes « conflictogènes » relevant de ces trois catégories serait la cause profonde de l’explosion des conflits séparatistes en Géorgie et dans le Caucase en général, ou en tous cas se superposerait à un terrain local préalablement porteur de conflit, pour lui conférer une dimension internationale.

Transition politique dans l’espace post-soviétique

Il s’agit premièrement de la « transitologie », qui se focalise sur les dynamismes de la transformation politique dans l’espace post-soviétique. Elle tend vers l’analyse, volontiers comparée, des différentes ex-régions soviétiques qui ont connu et connaissent encore un processus de transition du communisme vers la démocratie, parfois vers la dictature. Cette discipline a pour cadre l’espace post-soviétique, ce qu’il contient de spécifique et de commun à des régions fort éloignées (le Tadjikistan et la Lituanie par exemple). Elle permet aux différents phénomènes régionaux d’être mis en parallèle et comparés. Le phénomène politique observé est la transition, dans certains cas douloureuse, d’un système communiste vers un système de forme démocratique, impliquant un renouvellement ou une reconversion des élites. Il est souvent accompagné de l’apparition de nouvelles structures politico-territoriales, tels que les nouveau Etats indépendants (Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan…) ou bien, dans les cas conflictuels, les régions séparatistes (Abkhazie, Ossétie du Sud, Nagorno-Karabagh, Transnistrie, Tchétchénie). Un nouveau jeu de pouvoir s’est mis en place après l’effondrement de l’Union Soviétique. Les séparatismes, tout comme l’unitarisme des Etats concernés, se trouvent au cœur des nouvelles affiliations, rivalités et légitimités politiques.

On peut donc analyser la première phase des conflits séparatistes de Géorgie, de la fin des années 1980 à 1993, sous le prisme d’une transition de système et de reconversion des élites de la nomenklatura locale au pouvoir. L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie étaient à l’époque soviétique deux entités territoriales dotées d’institutions autonomes, basées sur des critères ethniques. Ces critères ne reflétaient pas nécessairement la réalité démographique de l’entité autonome : en Abkhazie, les Abkhazes étaient de loin une minorité sur la population totale, moins nombreux même que d’autres minorités (les Arméniens par exemple). Pourtant, le parlement et les ministères de la République autonome étaient réservés aux Abkhazes ethniques. L’ethnie et la langue abkhazes constituaient par là même une plateforme idéale pour les ambitions politiques : dès les années 1970, promouvoir l’enseignement universitaire en Abkhaze, limiter la pression démographique des Géorgiens ou le centralisme de Tbilissi ont constitué des prototypes de combats politiques en mesure d’asseoir la légitimité des leaders abkhazes soviétiques, qui sont devenus avec la perestroïka (restructuration) de l’URSS des leaders indépendantistes (2). Tout comme la préservation de la langue géorgienne et l’indépendance vis-à-vis de Moscou ont représenté un corpus de revendications promues par une élite géorgienne indépendantiste qui allait gouverner un nouvel Etat. Dans la mouvance de la perestroïka initiée sous Mikhaïl Gorbatchev au milieux des années 1980, alors que la dislocation centrifuge de l’URSS était entamée et que l’idéologie communiste cessait de jouer un rôle unificateur, les leaders abakhzes allaient s’appuyer sur les institutions autonomes et les revendications politiques que celles-ci cautionnaient pour pérenniser leur pouvoir et empêcher le leadership de Tbilissi d’intervenir dans leur espace de coercition. En Abkhazie, la transition d’un système politique socialiste, centralisé et autoritaire, vers un ordre revendiquant la démocratie et le « principe de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes », allait se traduire par une reconversion des administrateurs locaux du système central en des dirigeants potentiels d’un Etat indépendant.

« Dès que le système central a commencé à se fracturer, la composante nationale à repris le dessus. Les élites nationales ont alors promu les idées nationalistes pour continuer d’affermir leur pouvoir local au détriment de Tbilissi. » (3)

Les cadres de l’administration soviétique allaient endosser la cause ethno-nationaliste pour devenir des leaders politiques selon le modèle des dirigeants des démocraties occidentales : président, premier ministre, ministre, etc. La République Soviétique Autonome se voulait un Etat indépendant, les cadres soviétiques des chefs d’Etat à l’occidentale.

En Ossétie du Sud, le même type d’analyse peut être fourni, à ceci près que les institutions d’un Territoire autonome étaient moins évoluées que celles d’une République autonome telle que l’Abkhazie. Elles avaient un profil politique, éducatif, culturel et linguistique sensiblement moins développé. La nomenklatura ossète, en grande partie composée de directeurs de kolkhozes, était moins préparée encore que celle d’Abkhazie à jouer un rôle de leadership politique d’envergure. Dans cette perspective, le pas du Territoire Autonome d’Ossétie du Sud vers une République souveraine était plus grand que dans le cas abkhaze.

Diamétralement opposée, la stratégie des leaders Géorgiens consistant à revendiquer l’existence d’un Etat géorgien indépendant sur la base du territoire de l’ancien territoire de la République Socialiste Soviétique de Géorgie est entrée en conflit avec les velléités des élites des institutions des entités autonomes. La question de la légalité engendrée par les statuts territoriaux soviétiques est à ce propos pertinente (voir ci-dessous), puisqu’elle pose la différence en termes de droit entre deux types d’indépendances qui ont en réalité les mêmes fondements de légitimité ethno-identitaires : celles des anciennes Républiques de l’Union, comme la Géorgie, et celles des anciens Républiques et Territoires Autonomes d’une République de l’Union (Abkhazie, Ossétie du Sud).

Dans la perspective des prismes offerts par une étude transitologique, la « guerre d’août 2008 » est un avatar tardif de ce processus de transition politique conflictuel, qui a vu une nouvelle démarche des dirigeants de Tbilissi pour asseoir leur domination sur un territoire revendiqué qui lui échappait encore, l’Ossétie du Sud. Après l’échec de cet politique, engendré par l’intervention de la Russie pour défendre le territoire séparatiste, ce processus a débouché sur une nouvelle affirmation politique des deux entités séparatistes, dont la reconnaissance officielle par la Russie constitue une nouvelle étape.

Une confrontation OTAN/Russie à travers les conflits de Géorgie : une prolongation de la guerre froide ?

Le 26 août 2008, après que la Russie ait reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, le président de la Géorgie Mikhaïl Saakachvili déclarait :

“Now the restoration of Georgia’s territorial integrity and protection of Georgia’s independence is no longer a matter of only Georgia or a matter of Georgia-Russian relations; this is a matter of Russia and the rest of the civilized world.” (4)

Le président géorgien veut ici démontrer que le conflit a été « internationalisé » et que la Géorgie fait partie d’un camp. La deuxième macroperspective prise en compte en conflictologie caucasienne est la « géopolitique post-guerre froide », sous-tendue par un postulat : la concurrence entre le « camp OTAN » et la Russie s’est poursuivie au-delà de l’effondrement de l’URSS. Beaucoup de productions des médias internationaux et d’essais généralistes contemporains véhiculent cette vision (5). Les ex-Républiques soviétiques et ex-pays satellites de l’Union Soviétique seraient au cœur d’un affrontement qui consiste en une velléité américaine de gagner du terrain sur les « fiefs » russes et en une tentative de Moscou de défendre ses positions, voire de reconquérir son empire démantelé. Le cadre géographique de ce champ est à la fois mondial, puisqu’il décrit la querelle de superpuissances pour le contrôle d’une partie du monde, et régional, puisqu’il se concentre sur les zones d’achoppement entre les deux blocs géopolitiques. Cette zone aurait reculé en défaveur de la Russie et les points d’affrontements actuels (Géorgie, Ukraine, Kirghizistan) ne seraient pas de nature bien différente de ceux de l’époque de la guerre froide (Corée, Viêt-Nam, Afghanistan). Les phénomènes observés sont en particulier :

-l’expansion de l’OTAN (aux pays Baltes, candidatures de la Géorgie ou de l’Ukraine) ;

-le soutien américain, notamment militaire et financier, aux nouveaux Etats qui se sont affranchis de Moscou et s’opposent au moins partiellement à la Russie : Géorgie, Ukraine, Kirghizistan, Azerbaïdjan, Ouzbékistan, Moldavie… Comme le fait remarquer Silvia Serrano, la Géorgie était en 1999 et 2000 le troisième pays au monde bénéficiaire d’aide américaine par habitant ; les programmes de soutien financier ont été massifs (le Millenium Challenge Programme, composé de 295 millions de dollars), y compris pour lancer le financement des membres du gouvernement de la Révolution des Roses (6).

-les « révolutions colorées », changements de régimes provoqués par une révolution populaire qui s’est opposée aux anciennes élites soviétiques plus ou moins affiliées à Moscou pour les remplacer par une nouvelle équipe gouvernementale pro-occidentale et revendiquant la démocratie. Ces révolutions colorées, fortement soutenues voire provoquées par Washington, seraient partie intégrante d’une stratégie américaine de gain d’influence dans l’espace post-soviétique. Inspirées du modèle Serbe de 2000, il s’agit par ordre chronologique de la Révolution des Roses de Géorgie en 2003, qui a porté l’équipe de Mikhaïl Saakachvili au pouvoir, de la Révolution Orange en Ukraine (2004) et de la Révolution des Tulipes au Kirghizistan (2005). En Géorgie, la Révolution des Roses a ceci de spécial qu’elle a renversé un leader, Edouard Chévardnadzé, qui certes avait été un dirigeant soviétique, mais qui n’était pas pro-russe, loin de là. D’importants accrochages diplomatiques et conflits plus ou moins directs avaient eu lieu entre Moscou et Tbilissi sous le mandat de ce dernier, qui par ailleurs avait de bonnes relations avec les pays occidentaux, notamment l’Europe et l’Allemagne. Avant d’arriver au pouvoir, Mikhaïl Saakachvili prônait même une amélioration des relations avec le voisin russe, avant de mener une politique bien plus radicalement antirusse que Chévardnadzé. De même, Vladimir Poutine déclarait lors de l’élection de Saakachvili qu’il espérait que ce soit de bonne augure pour les relations russo-géorgiennes. Il serait donc simplificateur de voir en le « phénomène coloré » de Géorgie un choix initialement délibérément antirusse. En revanche, c’est tout un héritage soviétique, donc avant tout « d’importation russe » aux yeux des Géorgiens, que la Révolution des Roses se promettait de balayer : népotisme, corruption, clientélisme, opacité, léthargie sociale, clanicité, aussi un pragmatisme désidéologisé… Au profit d’un libéralisme démocratique volontariste, jeune (7), moderne, capitaliste et surtout très orienté vers un modèle spécifiquement américain.

En contrepartie, le soutien de la Russie aux conflits séparatistes de ces nouveaux Etats serait une carte dans les mains du Kremlin pour tenter d’entraver l’émancipation de ses anciennes « colonies » et de gêner l’adhésion de celles-ci au camp OTAN. Ce soutien aux conflits participeraient de la même politique extérieure russe que l’appui sur la minorité russophone en Ukraine : soutenir une population loyale envers Moscou ou en tous cas en porte-à-faux, pour des raisons ethniques, avec l’autorité centrale des pays concernés. Il s’agit donc de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en Géorgie et de la Transnistrie en Moldavie. Dans une moindre mesure, l’Azerbaïdjan a également accusé Moscou d’avoir soutenu les Arméniens séparatistes du Nagorno-Karabakh pour paralyser l’indépendance Azérie.

Les problématiques liées aux relations russo-américaines se retrouveraient donc directement dans les conflits de Géorgie. Selon Thomas Balivet, « ce contexte est à envisager dans les grandes tendances qui existent depuis les deux évènements clés qui ont été l’élection de V. Poutine en Russie en mars 2000 et les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis » (8)

Il y aurait donc deux tendances résultant en une confrontation en Géorgie : en Russie, la reconstitution d’une Russie forte et décidée à réintégrer son territoire perdu lors du fiasco politico-économique de la fin des années 1980 et des années 1990 ; côté américain, une nouvelle tentative de sécuriser l’équilibre mondial, passant par un contrôle du Moyen-Orient et des périphéries de l’ex-URSS, dont la Géorgie est l’allié idéal.

Si cette configuration semble avoir été accélérée depuis la Révolution des Roses de 2003 et portée à son apogée lors de la « guerre d’août 2008 », l’armée russe étant intervenue militairement en Géorgie en défense des séparatistes sud-ossètes, Washington et l’OTAN ayant clairement pris diplomatiquement position pour Tbilissi et contre Moscou, il est en revanche loin d’être établi que cette constellation ait été côté russe le fruit d’une stratégie unanime et programmée. Les conflits du début des années 1990 ont été particulièrement embrouillés et l’attitude de la Russie à leur égard ambiguë. Alors que l’armée russe armait les rebelles abkhazes, Moscou portait officiellement son soutien à Edouard Chévardnadzé et à l’armée géorgienne. Aucune analyse ne saurait être unanime quant au rôle exact joué par Moscou dans les conflits des années 1990, ce rôle ayant pu en outre être divergeant selon les ministères (défense, intérieur, affaires étrangères), ou même les responsables (officiers de l’armée, ministres). Même lors de l’arrivée de M. Saakachvili au pouvoir, il semblait que les relations russo-géorgiennes aient été prêtes à repartir aux beaux fixes, sans que la Russie perçoive instantanément la Révolution des Roses comme une menace. Ce processus de « cristallisation » autour de deux camps post-guerre froide semble surtout s’être rapidement accéléré dans les 4 ans ayant précédé la « guerre d’août 2008 ».

La thèse d’une « guerre des hydrocarbures »

La troisième macroperspective fréquemment appliquée à l’analyse conflits séparatiste est une approche géostratégique qui met les enjeux économiques et surtout énergétiques au centre des politiques globales et locales. Les pays Occidentaux seraient avant tout intéressés par le contrôle de l’acheminement des hydrocarbures des zones de gisements vers leurs territoires et tenteraient de mettre le plus de cartes de leur côté pour un approvisionnement sécurisé et bon marché. Ainsi, le Caucase serait une zone de transit majeure entre les gisements de la Caspienne et la zone OTAN (Turquie) qui offrirait une alternative intéressante aux hydrocarbures russes dont l’achat implique une dépendance économique et politique à l’égard de la Russie. C’est ce que l’on appelle le développement des axes longitudinaux, au cœur du « Grand Echiquier » théorisé par Zbigniew Brzezinski (9). Ainsi, en Azerbaïdjan et en Géorgie, les Occidentaux tenteraient de s’aménager une zone protégée, ce que les Russes tenteraient d’empêcher pour s’assurer le monopole ou en tous cas une domination du marché via les pipelines qui passent par leur territoire.

Selon le géopolitologue François Thual,

« Cette bataille des oléoducs a pour conséquence de désenclaver géopolitiquement et géographiquement le Caucase, qui se voit proposer deux grandes radiales d’évacuation : l’une traditionnelle, favorable à la Russie et suivant un axe sud-nord ; l’autre, un axe est-ouest, qui représente le schéma américain et occidental. (10) »

L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui relie les champs pétroliers d’Azerbaïdjan au port turc de Ceyhan, a été construit par la British Petroleum et inauguré le 10 mai 2006. Il traverse la Géorgie d’est en ouest dans le sud du pays sur 260km, sur les hauteurs de la chaîne du Petit Caucase. Son parcours en Géorgie n’est pas directement mis en danger par les conflits séparatistes, dont les territoires se trouvent au nord du pays. La seule zone politiquement sensible qu’il traverse est la Djavakhétie, qui connaît des tensions en raison de revendications autonomistes d’une partie de la communauté arménienne qui l’habite en grande majorité.

En revanche, on a pu constater à plusieurs reprises lors de l’intervention militaire russe sur le territoire géorgien en août 2008 que sa mise en danger était un argument potentiel visant à amener les puissances occidentales à intervenir aux côtés de la Géorgie. Du moins l’on peut supposer que ce fut le calcul des autorités géorgiennes : à deux reprises, le ministère de l’Intérieur géorgien annonçait que l’oléoduc avait été touché par des bombardements russes, ce que démentait aussitôt British Petroleum. Sans rapport avec le conflit géorgien, le pipeline était dans le même temps incendié sur le territoire turc et subséquemment fermé pour un temps. Ce fait du hasard jette un flou supplémentaire sur la question du rôle que la peur occidentale d’un endommagement de l’oléoduc et les motivations politiques visant à sa protection ont réellement joué durant le conflit.

Quoiqu’il en soit, la thèse d’une « guerre des hydrocarbures », parfois mise en avant notamment dans les médias anglo-saxons, sous-tendue par approche pan-économiste où les acteurs et intérêts locaux seraient supplantés par des intérêts économiques globaux bien plus importants serait trop restreinte pour définir les tenants et les aboutissants des conflits de Géorgie. Ce prisme reflète néanmoins de réels intérêts pour lesquels les acteurs politiques internationaux sont certainement prêts à beaucoup investir. Avant tout, il représente en Géorgie l’un des atouts vis-à-vis des Européens et des Américains dont le leadership géorgien est conscient et qu’il sait exploiter pour accroître l’importance de son pays aux yeux de ses alliés, tantôts européens, tantôt américains (11). L’emphase d’une identité européenne et chrétienne (12), d’une authentique culture démocratique, d’une lutte contre l’héritage soviétique ou bien contre le terrorisme islamiste (13) relève de la même stratégie. Mais pris de manière isolée, une telle approche tend largement à décontextualiser le cadre géographique, politique et social dans lequel se situent ces enjeux énergétiques, à occulter le jeu complexe du pouvoir politique, tant local que global, ainsi que l’importance des motivations ethno-identitaires et à réduire les manœuvres politiques à des enjeux économiques.

Portée et conséquences du prisme des macroperspectives

Très majoritairement, les journalistes, analystes, experts régionaux, spécialistes des conflits ou de disciplines des sciences humaines (sciences politiques, sociologie, relations internationales, géopolitique), voire responsables politiques occidentaux cherchant à expliquer la genèse de la guerre d’août 2008 et des conflits séparatistes de Géorgie en général ont jusqu’à présent opté pour des approches s’appuyant sur une macroperspective issue d’une de ces catégories. En revanche, ils ont largement laissé pour compte des analyses plus « localistes », « autochtonistes », basées sur une observation du jeux des acteurs politiques, économiques et sociaux locaux, de leurs stratégies et appropriations de la situation de conflit. Encore, l’étude des structures de construction des identités collectives et de leur interrelation avec les comportements et décisions des nombreux protagonistes locaux est jusqu’à présent loin d’avoir été privilégiée. Enfin, la vision du « grand échiquier » tend également à occulter la part de « l’incontrôlable », de l’ « imprévisible » et du « réversible » dans la genèse du mécanisme de conflit à l’œuvre en Ossétie du Sud ou en Abkhazie.

Cette consistance du discours analytique répandu dans les pays Occidentaux a naturellement une insistance sur les dynamiques des conflits et des démarches entreprises pour leur résolution : les acteurs politiques locaux justifient leurs décisions et optent pour certaines stratégies aussi en fonction des réactions internationales : ils se servent également de ces macroperspectives pour affiner l’image du conflit qu’ils cherchent à diffuser auprès de la communauté internationale. Celle-ci prend à son tour des décisions concernant les conflits fondées sur certaines visions développées par l’expertise s’appuyant sur ces macroperspectives.

Notes

(1)L’utilisation du terme « conflictologie » a été déplacée du champ sociologique vers le champ géopolitique dans les années 1990 pour désigner un domaine particulier des sciences politiques doté d’un corpus théorique spécifique, visant à formuler une analyse performante des différents conflits séparatistes du monde post-communiste (Caucase, Asie Centrale, Moldavie, Balkans) qui avaient des origines communes ou des parallélismes flagrants. Cf. les travaux de Valery Tishkov, par exemple Ethnic Conflicts in the Former USSR : the Use and Misuse of Typologies and Data, Tishkov Journal and Peace Research, vol. 36, n.5 (1999), p.571-591
(2)Thomas Balivet, Géopolitique… , p. 90
(3)Thomas Balivet, Géopolitique de la Géorgie, Souveraineté et Contrôle des Territoires, L’Harmattan, Paris 2005, p. 90
(4)« A présent, la restauration de l’intégrité territoriale de la Géorgie et la protection de l’indépendance de la Géorgie n’est plus l’affaire de la simple Géorgie ou l’affaire des relations Géorgie-Russie ; c’est l’affaire de la Russie et du reste du monde civilisé. » Traduction de l’auteur. Source : http://www.president.gov.ge/?l=E&m=0&sm=3&st=30 , 26 août 2008, The President of Georgia Mikheil Saakashvili’s statement (site visité le 10/10/2008)
(5)En témoigne par exemple le livre de Gaïdz Minassian, Caucase du Sud, la nouvelle guerre froide – Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Editions autrement, Paris 2007
(6)Silvia Serrano, Géorgie, Sortie d’Empire, CNRS Editions, Paris 2007, p.251
(7)La moyenne d’âge de l’équipe des cadres issus de la Révolution des Roses est l’une des plus jeunes au monde. Mikhaïl Saakachvili a été élu président à l’âge de 37 ans, il est plus âgé que les membres de son gouvernement.
(8)Thomas Balivet, Géopolitique de la Géorgie, Souveraineté et Contrôle des Territoires, L’Harmattan 2005, Paris, p. 101
(9)Silvia Serrano, Géorgie, Sortie d’Empire, CNRS Editions, Paris 2007, p. 252
(10)François Thual, Le Caucase, Arménie, Azerbaïdjan, Daghestan, Géorgie, Tchétchénie, Dominos Flammarion 2001, p. 63
(11)Cf. Silvia Serrano, Géorgie, Sortie d’Empire, CNRS Editions, Paris 2007, p.236-238
(12)Idem, p. 238
(13)Idem, p. 256/257

mercredi 15 avril 2009


©Birgit Kuch, Marjanishvili in Tbilisi

By Birgit KUCH, University of Leipzig in Tbilisi/Leipzig,
Article published in Caucaz.com on March 21, 2009

Georgian society has undergone rapid changes and continuous transformation in recent years, and determining attitudes towards the Soviet past remains a complex and difficult issue. Which historical moments should be remembered and which ones are better to be forgotten is still a matter of ongoing discussion. A look at the changes and continuities experienced by the Marjanishvili State Academic Drama Theatre in Tbilisi provides a vivid example of how these questions concerning collective identities, memories and representations are being discussed in Georgia today.


A new generation at the Marjanishvili Theatre

The Marjanishvili, which celebrated its 80 years of existence last November, is exemplary of the generational changes and both the aesthetic, thematic and political trends that have been observed in Tbilisi’s theatres and in other institutions since the Rose Revolution. After three years of renovation, the theatre, its picture frame stage and 480 seats, reopened in September 2006 with a new artistic director, Levan Tsuladze. A graduate from the Shota Rustaveli Theatre and Film Institute of Tbilisi, Tsuladze’s roots are in Tbilisi’s free theatre scene. With his nomination to the post, a representative of the younger generation of stage directors became artistic director of the Marjanishvili.

In 1997, Tsuladze co-founded the Sardapi ‘Basement’ Theatre, where he staged a large number of productions, mainly comedies and vaudevilles. With his entertaining works he secured the lasting interest of a predominantly young public, transforming the Sardapi into one of the most popular theatres in town. In 2003, the theatre’s success led to the opening of a second Sardapi branch in the Vake district.

Today, Tsuladze successfully applies the same strategy of creating attractive spectacles for a young audience, only this time for the Marjanishvili. He has worked for the theatre in the past and in December 2005 he received a medal of honour from President Saakashvili for his accomplishments as a director. At the ceremony Saakashvili gave awards to other honourees who were either too young to have Soviet pasts or who had never been associated with the old elite. At the same time, the President used strong words to verbally attack the so-called “red intelligentsia”. (1) The event is an example of post-revolutionary Georgia’s continuation of traditional Soviet practices albeit with strong anti-Soviet rhetoric.

Since reopening in 2006 the Marjanishvili’s repertoire has been characterized by a remarkable heterogeneity. The theatre hosts not only premieres and new performances, but also productions that were performed before the renovation.

Both Georgian and foreign plays in translation have been performed in recent years under the leadership of a variety of directors, including Tsuladze. Three popular productions from three directors of different generational backgrounds give a clear idea of the negotiations taking place on the Marjanishvili’s stage.

“Art”: A Western play performed in Georgia

The first of these productions is Temur Chkheidze’s “Art”. Chkheidze graduated from the Rustaveli Theatre and Film Institute as a director in 1965. During the 1980s, like Tsuladze today, he was artistic director of the Marjanishvili. Although during the 1990s he worked full time at the BDT in St. Petersburg, he regularly returned to the Marjanishvili and other theatres in Tbilisi to direct productions such as “Art”, which premiered in October 1999.

Three middle-aged friends get into a quarrel about a painting that one of them bought. The entirely white canvas of the piece initially raises questions on sense and meaning, but step by step the discussion also threatens to challenge their friendship. In his Georgian adaptation of the internationally acclaimed play by contemporary French writer Yasmina Reza, Chkheidze worked closely with the text, focusing on simplicity. The set is minimalist: there is a carpet that functions as the stage, several chairs and of course, the white painting. The production’s main characteristic is the expressive and occasionally comical acting which involves quick verbal exchanges that sometimes break the “fourth wall” by directing the discussion towards the spectators.

Strikingly, this adaptation for the Georgian stage exceeded the literal interpretation of the play. By giving explicitly Georgian names to the characters and even to the unseen, but oft-mentioned painter, the plot was naturalized. On the one hand, in staging the international hit at Marjanishvili, the theatre and the audience delve into Western culture. This appears to be true as well for the content of the play, which resumes long-lasting discussions on the uses and significations of abstract art. In order to make the plot truly socially relevant for the local audience, however, it seems to have been necessary to transplant the plot to a clearly Georgian setting.

“Kakutsa Cholokhashvili”: A Georgian National Epic

“Kakutsa Cholokhashvili” was directed by Levan Tsuladze and first performed in May 2007. The play about resistance hero Cholokhashvili who fought against the Bolsheviks in the 1920s was written by Guram Kartvelishvili, who also received a medal of honour from President Saakashvili in 2005. Georgia’s Ministry of Defence was one of the theatre’s main partners, donating 15 guns, which were used to great effect during the performance.

Comments by the director himself indicated that the production fits into the context of the intellectual militaristic mobilization that came along with Georgia’s increased military spending long before the outbreak of 2008’s August War. “I hope that the performance will be interesting and important,” Tsuladze told the English language newspaper Georgia Today in March 2007. “It will be a heroic saga that will serve the military aspirations in Georgia that benefit our country,” he continued.

It is pleasant for me to work on this performance. It does not mean that the theatre will turn into the heroic one but I do believe that this genre is necessary for the Georgian population today. Kakutsa Cholokashvili is my ideal. He was a real hero. I want to restore the popularity of the profession of officer in Georgia, as I believe there can be no better job for a man. (2)

Consequently, Cholokhashvili’s central character embodies a heroic, rather non-scientific image of the past, which has many features of a patriotic historical master narrative. Although there are some female characters on stage, it’s a man’s world that Tsuladze presents: in addition to depictions of the life, deeds and death of the hero, there are several battle scenes, accompanied by pathos and bawdy humour.

While the producers brought the glorious military performance of the hero, defeated at last, into focus before the August War, a slight, but important shift in meaning has taken place since. Today, the production seems to be a reminder of the Red Army’s 1921 invasion which resulted in Georgia‘s integration into the Soviet Union. Following the recent war with Russia, the portrayal of the 1921 invasion also now evokes the events of August 2008. In the context of this war, the ideal of heroic resistance against the intruder acquires a new significance, even if this resistance resulted in defeat. Therefore, the historical character of Cholokhashvili, who had not been officially remembered for decades, could turn into a symbol of 2008’s “fight against imperialism”.

“Uriel Acosta”: A Kind of Nostalgic Museum

While “Kakutsa Cholokhashvili” is in line with today’s official readings of the past that promote memories of an oppressive occupation by the Soviet empire, another production at the Marjanishvili, “Uriel Acosta”, functions as a vehicle through which nostalgic memories of Soviet times seem to be possible. “Uriel Acosta” was directed by the theatre’s founder Kote Marjanishvili in 1929, and brought back in 2006 by the late actress Sophiko Chiaureli. In the intervening years, the play had been revived several times by Veriko Anjaparidze, Chiaureli’s mother, who first played the lead role, before passing it on to her daughter. She took care to maintain the Marjanishvili production as authentically as possible, and Chiaureli strove to do the same in 2006. As a result, a piece of early Soviet Avant-garde theatre has survived for decades in Tbilisi

The play by 19th century German writer Karl Gutskow is situated in Amsterdam’s 17th century Jewish community. The main character, Uriel Acosta, is revolting against the backwardness and narrow-mindedness of his surroundings that have prevented him from marrying his beloved Judith. After Judith is forced to marry another man and Uriel is expelled by the others, the couple commits suicide.

While staging ”Uriel Acosta”, Marjanishvili clearly emphasised the play’s revolutionary message. Armed with his experiences from Russia’s Theatrical October, he returned to Georgia after the Bolshevik annexation, and continued to create revolutionary theatre, laying the groundwork for modern theatre in his home country at the same time. However, the production’s historical and political background and its links to the Avant-garde movement do not appear to be the main concern today. For the time being, memories of the bygone stars, who had been involved in the original production, and the good old times they represent, appear to be in the foreground.

As a result, there is little room for interpretation for actor couple Nato Murvanidze and Nika Tavadze (who also embodies Cholokhashvili), who play the leading roles in the contemporary version of “Uriel Acosta”. Their task instead is to incarnate their forbears. It is this system of dynastic transmission of tradition that gives the Marjanishvili theatre its character of a self-referential realm, a storehouse of collective memory. Other ever-lasting attributes of the Marjanishvili were and are its specific topicality, its being in line with the spirit of the times, as much as its closeness to the respective holders of power.

These three exemplary productions presented at the Marjanishvili indicate that there are many competing images and narrations attempting to answer questions about Georgia’s collective identity issues. This plurality of representations is also true for Tbilisi’s theatre landscape in general, where the Marjanishvili holds its important and particular position for already 80 years.

(1)See: 31 December 2005, President Saakashvili awards public figures with orders and medals of honor, http://www.president.gov.ge/?l=E&m=0&sm=3&st=1200&id=1281 (20.11.08)
(2)Maka Lomadze: The Catcher in the Rye and Georgian History: Innovations and Plans at Marjanishvili Theatre, in: Georgia Today, 30.03.2007, electronic version: http://www.georgiatoday.ge/article_details.php?id=2612# (16.02.08)

mercredi 1 avril 2009

Das Mardschanischwili-Theater bringt in Tbilissi Identitäts-Fragen auf die Bühne


©Birgit Kuch, das Mardschanischwili Theater in Tbilissi

Von Birgit KUCH, Universität Leipzig in Tbilissi/Leipzig
veröffentlicht in Caucaz.com am 10/03/09

Die georgische Gesellschaft hat in den letzten Jahren rapiden Wandel und anhaltende Transformationsprozesse erlebt. Trotzdem oder vielleicht gerade deshalb bleibt eine Positionierung gegenüber der sowjetischen Vergangenheit eine komplexe und schwierige Angelegenheit. Welche historischen Momente erinnert werden sollten, und welche man besser vergisst, wird weiterhin diskutiert. Schaut man auf das Staatliche Akademische Mardschanischwili Drama Theater in Tbilissi, lassen sich anschauliche Beispiele dafür finden, wie diese Fragen, die kollektive Identitäten, Erinnerungen und Repräsentationen betreffen, im heutigen Georgien verhandelt werden.


Eine neue Generation am Mardschanischwili-Theater

Das Mardschanischwili, das im letzten November sein 80. Jubiläum feierte, stellt ein spannendes Beispiel für den Generationenwechsel, sowie für die ästhetischen, thematischen und politischen Trends dar, die sich in der Theaterlandschaft von Tbilissi und darüber hinaus auch anderswo seit der Rosenrevolution in Georgien beobachten lassen. Im Zuge der Wiedereröffnung im September 2006 zog nach den drei Jahre andauernden Renovierungsarbeiten des Gebäudes, das mit einer Guckkastenbühne und 480 Sitzplätzen ausgestattet ist, auch eine neue künstlerische Leitung ins Mardschanischwili ein. Mit Lewan Tsuladse, der am Schota Rustaweli Institut für Theater und Film studiert hatte, wurde ein Vertreter der jüngeren Generation von Regisseuren für den Posten nominiert. Seine Wurzeln liegen in der freien Theaterszene von Tbilissi. 1997 gehörte Tsuladse zu den Mitbegründern des Sardapi “Basement” Theaters, wo er zahlreiche Stücke inszenierte, vor allem Komödien und Vaudevilles. Mit Hilfe dieser Masse an eher unterhaltsamen Regiearbeiten, die das bleibende Interesse einer vorwiegend jungen Zuschauerschaft sicherten, schaffte er es, aus dem Sardapi eines der beliebtesten Theater der Stadt zu machen. Der Erfolg des Theaters erlaubte 2003 die Eröffnung einer zweiten Sardapi-Filiale, die sich im Wake-Viertel befindet.

Heute wendet Tsuladse die gleiche Strategie – attraktive Produktionen für ein junges Publikum – für das Mardschanischwili an, wo er schon öfter in den Jahren vor seiner Nominierung inszeniert hatte. Im Dezember 2005 erhielt er für seine Leistungen als Regisseur die Ehrenmedaille des Präsidenten Saakaschwili. Wie er waren die anderen Preisträger entweder jung genug, um sich nicht mit einer sowjetischen Vergangenheit beschmutzt zu haben oder sie gehörten zu jenen, die niemals Teil der alten Elite gewesen waren. Gegen diese sogenannte „rote Intelligentsia“ brachte Saakaschwili dann auch während der Vergabezeremonie intensive Verbalattacken hervor.(1) Diese Zeremonie stellt nur ein Beispiel für die Kontinuitäten traditioneller sowjetischer Praktiken dar, die, mit antisowjetischer Rhetorik verknüpft, im post-revolutionären Georgien zu beobachten sind.

Beim Blick auf das Repertoire des Mardschanischwili seit der Wiedereröffnung zeichnet sich eine bemerkenswerte Heterogenität ab. Der Spielplan bestand seit 2006 nicht nur aus Premieren oder neuen Produktionen, sondern auch aus Inszenierungen, die vor der Renovierung erarbeitet worden waren. Ebenso georgische wie übersetzte ausländische Stücke wurden in den letzten Jahren gespielt, so wie immer schon an diesem Theater. Sie wurden von einer Vielzahl an Regisseuren inszeniert, unter ihnen natürlich Tsuladse. Drei beliebte Produktionen, die dort seit 2006 gezeigt und von drei Regisseuren aus verschiedenen Generationen erarbeitet wurden, können einen Eindruck davon vermitteln, wie sich die Aushandlungsprozesse auf der Bühne des Mardschanischwili gestalten.

„Kunst”: Ein Stück aus dem Westen in Georgien

Die erste dieser Inszenierungen ist Temur Tschcheidses „Kunst”. Tschcheidse absolvierte im Jahr 1965 das Rustaweli Institut für Theater und Film. Und wie Tsuladse heute, war er während der 1980er künstlerischer Leiter am Mardschanischwili. Obwohl er seit den 1990ern dauerhaft am BDT in St. Petersburg arbeitete, kehrte er regelmäßig ans Mardschanischwili und an andere Bühnen in Tbilissi zurück, um neue Stücke zu inszenieren. So auch für „Kunst“, das im Oktober 1999 Premiere feierte.

Drei Freunde im mittleren Alter verwickeln sich in einen Streit um ein Gemälde, das einer von ihnen gekauft hat. Die komplett weiße Leinwand des Kunstwerks ruft Fragen nach Sinn und Bedeutung hervor, doch schrittweise droht die Diskussion auch die Freundschaft der drei herauszufordern. In seiner Umsetzung des international erfolgreichen Stücks der französischen Schriftstellerin Yasmina Reza für die georgische Bühne arbeitete Tschcheidse nah am Text und verwendete minimalistische Mittel. Es gibt nicht viel Dekor, außer einem Teppich, der als die eigentliche Bühne fungiert, daneben ein paar Stühle und natürlich das weiße Bild. Hauptmerkmal dieser Produktion ist das ausdrucksvolle und immer wieder komische Spiel der Darsteller, das aus schnellen Dialogwechseln und dem gelegentlichen Durchbrechen der vierten Wand besteht.

Auffälligerweise ging diese Adaption des Stücks für die georgische Bühne über die buchstäbliche Interpretation des Texts hinaus. Indem den Figuren, und sogar dem manchmal erwähnten, aber nie auftauchenden Maler des Bildes georgische Namen verpasst wurden, fand eine Naturalisierung der Handlung statt. Einerseits schwimmen das Theater und sein Publikum mit der Aufführung dieses internationalen Kassenschlagers in den Wässern der Kultur des Westens. Dies geschieht vor allem über den Inhalt des Stücks, das sich lang anhaltenden Diskussionen über Zweck und Bedeutung abstrakter Kunst anschließt. Andererseits, so scheint es, bestand die Notwendigkeit, dem Stück einen klaren „georgisierten“ Hintergrund zu erarbeiten, damit die Handlung wirkliche soziale Relevanz für die lokalen Zuschauer erhält.

„Kakutsa Tscholochaschwili“: Ein georgisches Nationalepos

“Kakutsa Tscholochaschwili” wurde von Lewan Tsuladse inszeniert und zum ersten Mal im Mai 2007 aufgeführt. Das Stück über den Widerstandskämpfer Tscholochaschwili, der in den 1920ern gegen die Bolschewiki gekämpft hatte, wurde von Guram Kartwelischwili geschrieben, der 2005 ebenfalls eine Ehrenmedaille vom georgischen Präsidenten erhielt. Für diese Produktion war das Verteidigungsministerium einer der Hauptpartner des Theaters und sponserte 15 Gewehre, die während der Aufführung effektvollen Einsatz fanden.

Kommentare des Regisseurs selbst weisen darauf hin, dass diese Inszenierung im Kontext der intellektuellen militaristischen Mobilisierung gesehen werden kann, die die gesteigerten militärischen Ausgaben in Georgien lange vor dem Ausbruch des August-Krieges im Sommer 2008 begleitete: „Ich hoffe, das Stück wird interessant und wichtig sein“, sagte der Regisseur der englischsprachigen Zeitung „Georgia Today“ im März 2007. „Es wird eine heroische Saga sein, die den militärischen Bestrebungen Georgiens, die unserem Land nutzen, dienen werden.“, fuhr er fort.

„Es macht mir Spaß, an dieser Inszenierung zu arbeiten. Das soll nicht heißen, dass sich das Theater in eine heroische Einrichtung verwandelt, aber ich glaube, dass dieses Genre notwendig für die heutige georgische Bevölkerung ist. Kakutsa Tscholochaschwili ist mein Ideal. Er war ein echter Held. Ich möchte die Beliebtheit des Offiziers-Berufes in Georgien wiederherstellen, ich glaube, dass es keinen besseren Job für einen Mann gibt.“ (2)

Folglich verkörpert die Hauptfigur Tscholochaschwili ein heroisches, vielmehr unwissenschaftliches Geschichtsbild, das sehr an patriotische historische Master-Narrative erinnert. Obwohl es ein paar weibliche Figuren auf der Bühne gibt, handelt es sich hier um eine Männerwelt, die Tsuladse herausgearbeitet hat. Neben der Darstellung von Leben, Taten und Tod des Helden gibt es mehrere Kampfszenen, die mit Pathos und heftigem Humor unterlegt wurden.

Während Tsuladse vor dem August-Krieg die glorreiche militärische Leistung des schließlich besiegten Helden in den Mittelpunkt stellte, scheint sich seitdem eine leichte, aber nicht unerhebliche Sinnverschiebung abzuzeichnen. Heute eignet sich die Produktion offenbar auch zunehmend, um an die Invasion der Roten Armee zu erinnern, deren Resultat die Integration Georgiens in die Sowjetunion war. Mit den Erfahrungen des jüngsten Krieges mit Russland neigt die Darstellung der Invasion von 1921 außerdem dazu, gleichzeitig die Ereignisse vom August 2008 zu repräsentieren. Im Kontext des August-Kriegs erhält das Ideal des heroischen Widerstands gegen den Eindringling eine neue Bedeutsamkeit, auch wenn dieser Widerstand in einer Niederlage endete. Deshalb könnte die historische Figur Tscholochaschwili, an die jahrzehntelang nicht erinnert werden durfte, zu einem Symbol für den „Kampf gegen den Imperialismus“ von 2008 werden.

„Uriel Acosta“: Eine Art Nostalgisches Museum

Während “Kakutsa Tscholochaschwili” übereinstimmt mit zeitgenössischen offiziellen Lesarten der Vergangenheit, die die Erinnerung an die gewaltsame Unterdrückung durch das sowjetische Imperium wach halten, fungiert zur selben Zeit am Mardschanischwili eine andere Inszenierung, „Uriel Acosta“, als eine Art Vehikel, durch das nostalgische Erinnerungen an sowjetische Zeiten möglich zu werden scheinen. „Uriel Acosta“ wurde vom Gründer des Theaters, Kote Mardschanischwili, 1929 inszeniert und 2006 von der kürzlich verstorbenen Schauspielerin Sophiko Tschiaureli erneuert. In der Zwischenzeit wurde die Inszenierung mehrere Male von Veriko Andschaparidse, Tschiaurelis Mutter, „renoviert“, die in der ersten Fassung die Hauptrolle gespielt hatte, bevor sie diese später an ihre Tochter weitergab. Dabei bemühte sie sich, Mardschanischwilis Produktion auf möglichst authentische Weise weiterzugeben – ein Prinzip, das Tschiaureli 2006 weiterführte. Folglich hat ein Stück Avantgarde-Theater aus den frühen sowjetischen Jahren jahrzehntelang in Tbilissi überlebt.

Das aus dem 19. Jahrhundert stammende Stück des deutschen Schriftstellers Karl Gutskow ist in der Amsterdamer jüdischen Gemeinde des 17. Jahrhunderts angesiedelt. Die Hauptfigur, Uriel Acosta, rebelliert gegen die Rückständigkeit und Engstirnigkeit seiner Umgebung, die ihn auch daran hindern will, seine geliebte Judith zu heiraten. Nachdem man Judith gezwungen hat, einen anderen zu ehelichen und Uriel aus der Gemeinschaft verstoßen wurde, nimmt sich das Paar das Leben.

Als Mardschanischwili “Uriel Acosta” inszenierte, betonte er deutlich die revolutionäre Botschaft des Stücks. Mit seinen Erfahrungen, die er beim Theateroktober in Russland gesammelt hatte, kehrte er nach der bolschewistischen Annektierung nach Georgien zurück und fuhr dort fort, revolutionäres Theater zu machen. Dabei schuf er in seiner Heimat auch gleichzeitig die Grundlagen für modernes Theater. Die historischen und politischen Hintergründe dieser Inszenierung oder ihre Verbindung zur Avantgarde-Bewegung scheinen heute jedoch nicht von allerwichtigstem Belang zu sein. Derzeit stehen eher Erinnerungen an all die gegangen Stars, die an den verschiedenen Fassungen der Inszenierung beteiligt waren, und mit ihnen, die guten alten Zeiten, im Vordergrund.

Demzufolge gibt es nicht viel Raum zum Interpretieren für das Schauspielerehepaar Nato Murwanidse und Nika Tawadse (der auch Tscholochaschwili darstellt), die die beiden Hauptrollen in der heutigen Version von „Uriel Acosta“ geerbt haben. Ihre Aufgabe scheint vielmehr, die Vorfahren zu verkörpern. Es ist dieses System der dynastischen Weitergabe von Tradition, das dem Mardschanischwili-Theater den Charakter eines selbst-referentiellen Raumes, oder eines Erinnerungsspeichers verleiht. Andere zeitlose Eigenschaften des Mardschanischwili waren und sind seine eigentümliche Aktualität, seine Übereinstimmung mit dem Zeitgeist, sowie seine Nähe zu den jeweiligen Machthabern.

Die drei hier exemplarisch vorgestellten Produktionen am Mardschaniachwili verweisen darauf, dass es etliche konkurrierende Bilder und Narrationen gibt, die am selben Haus auf Fragen kollektiver Angelegenheiten Antwort geben. Diese Vielfalt der Repräsentationen ist darüber hinaus auch der Theaterlandschaft von Tbilissi selbst zueigen, in der das Mardschanischwili seine wichtige und spezifische Position seit mehr als 80 Jahren behauptet.

(1) Vgl.: 31 December 2005, President Saakashvili awards public figures with orders and medals of honor, http://www.president.gov.ge/?l=E&m=0&sm=3&st=1200&id=1281 (20.11.08)
(2) Maka Lomadze: The Catcher in the Rye and Georgian History: Innovations and Plans at Marjanishvili Theatre, in: Georgia Today, 30.03.2007, electronic version: http://www.georgiatoday.ge/article_details.php?id=2612# (16.02.08)

mardi 10 mars 2009

In den Dörfern Chewsuretiens : zwischen archaischen Lebensweisen und dem 21. Jahrhundert

Von Nicolas LANDRU in Dschuta, Schatili, Korscha und Tbilissi
Veröffentlicht in caucaz.com am 04/03/09



Dschuta ist ein kleines Dorf von etwa dreißig Familien. Es befindet sich im Herzen der östlichen Massive des georgischen Großen Kaukasus, deren höchste Erhebung mit 5033 Metern der Berg Kasbek darstellt. Sieben Kilometer entfernt von der Grenze zu Inguschetien in der Russischen Föderation liegt Dschuta am Nordhang der Bergkette. Mit einer Höhe von 2200 Metern stellt es knapp hinter Uschguli im westgeorgischen Swanetien den am zweithöchsten bewohnten Ort Europas dar – falls hier überhaupt noch Europa sein sollte. Über einem tiefen Tal gelegen, befindet sich Dschuta am äußersten Rand der georgischen historischen Regionen von Chewi und Chewsuretien. Oberhalb des Dorfes wohnt keine Menschenseele mehr: halb christliche, halb heidnische Heiligtümer aus trockenem Stein kann man dort als einzige Spuren von Zivilisation finden.



Vom inneren Chewsuretien durch das Tschauchi-Massiv (3842m) isoliert und mit dem Hauptort von Chewi, Stepantsminda (Kasbegi), durch eine Strasse verbunden, wird Dschuta von Chewsuren bewohnt, einer in Georgien spezifischen Stammesgruppe. Im Dorf würde man zwecklos nach Herrn Arabuli fragen, denn alle Einwohner heißen hier so, wahrscheinlich wegen eines gemeinsamen Vorfahren. Auch anderswo in Chewsuretien ist dieser Nachname häufig anzutreffen.

Die Chewsuren zwischen Mythos und Realität

Die Chewsuren, die aus insgesamt etwa 700 Familien bestehen, sind eine besondere Gruppe unter den Georgiern. Sie werden von der nationalen Romantik als zeitlose Wächter der georgischen Identität und des Glaubens idealisiert, imaginiert als stolze Krieger in Kreuzzügler-Kettenhemden, die das orthodoxe Kreuz hochhalten und rastlos muslimische Tschetschenen, Perser oder Dagestaner bekämpfen. Als Inhaber ungestorbener heidnischer Traditionen hätten sie die Seele der Urgeorgier sogar durch die Zeiten des Christentums hindurch erhalten.

Wascha Paschawela, ein georgischer Dichter aus dem 19. Jahrhundert, der selbst aus dem an Chewsuretien grenzenden Gebiet Pschawi stammte, zelebrierte ihre Tapferkeit und ihre Liebe zur Natur. Doch als der „nationale Kommunismus“ der 1950er Jahre den Mythos des reinen Chewsuren für ein Publikum in Tbilissi ausgrub, war schon die Hälfte Chewsuretiens entvölkert und seine Einwohner in das Flachland von Kachetien, Kwemo Kartli oder nach Tbilissi deportiert worden. Die massive Industrialisierung brauchte Arbeitskräfte für die Fabriken und Kolchosen, die damals aus dem Nichts in der Steppe erbaut wurden und heutzutage fast vollständig verfallen sind. Daneben war das sowjetische Regime ständig auf Schwierigkeiten gestoßen, sich die turbulenten Chewsuren gefügig zu machen, die vorher niemals äußeren Herrschern ganz unterworfen gewesen waren. Die Machthaber schienen kein Problem im Gegensatz zwischen politischer Aktion und Propaganda zu sehen: das Dorf Schatili, ein mittelalterlicher Aul (nord-kaukasisches befestigtes Dorf), wurde durch Filme zur Ikone der Bergregionen Georgiens, kurz nachdem man seine Einwohner von dort vertrieben hatte.

Geographisch in Chewi gelegen, blieb Dschuta von der Vertreibung seiner Bevölkerung verschont. Allerdings ist es kein Zufall, dass Jago, ein Mann aus dem Dorf, der in Kasbegi zur Schule ging, in Tbilissi studierte und jetzt versucht, den Tourismus in Dschuta zu entwickeln, eine Chewsurin geheiratet hat, die aus Südkachetien kommt. Dorthin hatte man ihre Familie in den 50er Jahren deportiert. Solche Fälle sind weit verbreitet: da Chewsuren meist Chewsurinnen heiraten, versuchen deportierte Familien, die Töchter mit Männern zu vermählen, die noch in Chewsuretien verwurzelt sind.

Harte Lebensbedingungen

Diejenigen, die in den Bergen geblieben waren, hatten nie ein einfaches Leben geführt. Jagos Großvater, ein Schafhirte, starb in einer Lawine. Jagos Kindheit verlief mit wenigen Kontakten zur Außenwelt, ohne Strom, in einem Haus wo Menschen und Tiere gemeinsam lebten. Dschutas Architektur ist einfach und die Wände von Jagos Haus sind heute noch teilweise mit getrockneten Kuhfladen bedeckt, der als Isolierung dient.

Stromlieferungen bezieht Dschuta erst seit Herbst 2007. Eine Gaspipeline wurde zu Sowjetzeiten gebaut, die die althergebrachte Isolation des Dorfes beendete. Daneben ist der Ort einer der kältesten in Georgien. Es kommt vor, dass man hier bis zu acht Monate im Jahr durch Schneemassen von der Außenwelt abgeschnitten ist. Weil bisher kein Regierungsprogramm plant, die Strassen zu reparieren und zu sichern, scheint es, dass diese Situation auch in Zukunft so bestehen bleibt.

Nur Kartoffeln lassen sich hier ernten, denn Dschuta liegt zu hoch für den Anbau anderer Gewächse. Die Einwohner besitzen vor allem Kühe und produzieren Butter und Käse. Andere Produkte werden von niedriger gelegenen Gebieten bezogen. In der Sowjetzeit fuhr man öfters nach Wladikawkas in Nordossetien, das nur etwa 60km entfernt liegt. Heute ist die russisch-georgische Grenze geschlossen, die Güter müssen daher erst vom mehr als 180 Kilometer entfernten Tbilissi nach Kasbegi gebracht werden, und dann nach Dschuta.

Die meisten Älteren im Dorf sind Hirten gewesen, erst „individuelle“ in ihrer Jugend, später „kollektive“. Als man die Schafherden zu Sowjetzeit kollektivierte, mussten Gruppen von Hirten Hunderte Kilometer mit mehreren Hunderttausend Tieren abwandern. Lagasa, Jagos Vater, begleitete diese riesigen Herden von Chewsuretien bis zum Kaspischen Meer in Dagestan.

Mit einem Fuß in der Tradition

Die Berge sind hier ein Synonym für harte Bedingungen. Zugleich haben sie aber auch länger als anderswo altüberlieferte Traditionen bewahrt. In Dschuta wird behauptet, dass die Stammeskleidung noch vor 30 Jahren getragen wurde. Bis in die Gegenwart hat sich, trotz dem Druck der orthodoxen Kirche in der georgischen Gesellschaft, der sonderbare Synkretismus der Chewsuren erhalten. Dieser steht übrigens in einem erstaunlichen Kontrast zu jenem Bild, das in den nationalen Vorstellungen die Chewsuren als verbissene Verteidiger des Christentums darstellt. Eigentlich existieren in Chewsuretien kein Klerus und keine Kirche, sondern Heiligtümer, wo gemischt Heiligen-, Kreuz- und Ahnenkult sowie animistische Rituale durchgeführt werden.

Heute noch versammeln sich die Männer in Chewsuretien für religiöse Feste an einem heiligen Ort außerhalb des Dorfes, oft in einem von Steinen umringten Raum, manchmal in einer Hütte. Frauen dürfen diesen Raum nicht betreten, denn durch sie würde der Ort „unrein“. Sie feiern ihrerseits manchmal in der Dorfschule oder in einem anderen Gemeinschafts-Raum. Im Heiligtum sitzt der Dorfälteste dem Kult vor. Seine Aufgabe ist, Gebete in Form von Trinksprüchen aufzusagen.

Bis zur Sowjetzeit haben die Gemeinden ohne feste Hierarchie gelebt. Der Chewisberi, der Stammesälteste, saß dem Kult und der Kriegsführung vor. Dieser Status hat sich bis heute beim Ritual erhalten. Nach dem religiösen Dienst wird ein Schaf, unter manchen Bedingungen auch ein Rind geopfert. Dann wird zusammen gefeiert; das geschlachtete Tier gegessen, selbst gemachter Schnaps oder Bier getrunken. Bei jedem Fest sind zwei Familien für die Organisation und die Versorgung mit Lebensmitteln zuständig. Das finanzielle Gewicht des Fests fällt also jedes Jahr auf andere Familien, so dass jede genug Zeit hat, für das nächste von ihr organisierte Fest zu sparen.

Der orthodoxe Klerus aus anderen Regionen Georgiens sieht diese in Chewsuretien überlebenden heidnischen Traditionen nicht gern. Besonders in der Nachbarregion Chewi, die eine spezifische orthodoxe Identität kultiviert: Ilja II, der Patriarch der georgischen orthodoxen Kirche, stammt aus dem Dorf Sno, das weniger als 15km von Dschuta entfernt ist. Orthodoxe Priester versuchen in Chewsuretien, wie im benachbarten Berggebiet Tuschetien „Entheidnisierungs-Kampagnen“ durchzuführen. Sie besetzen Orte wie den Aul Schatili, die von der nationalen Mythologie verehrt werden. Jedoch scheinen sie bis jetzt wenig Anklang unter den Berggemeinschaften gefunden zu haben.

Moderne Aspekte

Heute wohnen viele Familien aus Dschuta in Tbilissi, vor allem in den Vororten der Hauptstadt. Sie verbringen dort die schlechte Saison und kehren am Ende des Frühlings bis zur Mitte des Herbstes nach Dschuta zurück. Einige aber verbringen hier das ganze Jahr und horten vor dem ersten Schnee Mehl, Salz und Zucker, um die 6 bis 8 Monate Isolation durchhalten zu können. Nach der Eisschmelze und kurz vor dem Winter sind es riesige Wagenkolonnen, die aus Kasbegi, dem Hauptort von Chewi, und sogar aus Tbilissi nach Dschuta fahren, um die Einwohner zu versorgen. Zum Transport benutzt man bis zum Eingang des Dorfes Minibusse, die trotz des extrem schlechten Zustands der Strasse hochfahren können, und sowjetische Jeeps der Marke „Niwa“. Für die unbefahrbare Strecke im Dorf muss man die Waren dann auf Eselrücken umladen.

Wegen der nahen Grenze zur russischen Föderation wurde Chewsuretien in den 1990er Jahren stark militarisiert. Grenzen zu Tschetschenien in Schatili, zu Inguschetien in Dschuta: Wegen der nord-kaukasischen Konflikte wurde Chewsuretien fast gelähmt. Bis 2005 brauchte man eine Erlaubnis des Verteidigungsministeriums, um dorthin fahren zu können. Die Situation hatte sich nach dem russischen Sieg in Tschetschenien gelockert. Doch der Krieg mit Russland im August 2008, obwohl er Chewsuretien nicht direkt betraf, hat gezeigt, dass keine Grenze in Georgien für ganz sicher gehalten werden kann. Jetzt herrscht wieder Spannung an der russischen Grenze, die Touristen sind verschwunden, ebenso die Trucks mit russischen, belorussischen und ukrainischen Kennzeichen. Die Entwicklung Chewsuretiens ist heute mehr denn je von den Verhältnissen zwischen den beiden Ländern und von der Entwicklung der Süd-Ossetien-Frage abhängig.

Jedoch stellt die Grenze auch eine wertvolle Ressource für Chewsuretien dar, denn die meisten jungen Einheimischen arbeiten als Grenzposten. Die Überlegung des Verteidigungsministeriums, keine Einheimischen mehr als Grenzposten anzustellen, um lokale Korruption zu vermeiden, hatte viele Ängste in der Region hervorgerufen. Solange eine solche Entscheidung von Tbilissi nicht getroffen ist, stellt die Armee jedoch als Arbeitsgeber, aber auch mit ihren modernen Wagen und dem notwendigen Equipment den besten Partner für die Einwohner dar, um die Strassen von Lawinen zu räumen, einen feststeckenden Traktor zu befreien oder einen Nachbarn ins nächste Dorf zu fahren.

Der Einstieg dieser abgeschiedenen Region in die Modernisierung des 21. Jahrhunderts geht aber manchmal über unerwartete Wege. Auf der nordkaukasischen Seite Hoch-Chewsuretiens, in der Region, die in den 1950ern entvölkert wurde, und wohin nur manche Familien Ende der 1970er zurückgekehrt sind, gibt es keinen Empfang für Mobiltelefone. Im niederen Chewsuretien dagegen, auf der Bergseite, die in Richtung Tbilissi zeigt, schreitet die technische Zentralisierung langsam voran. Sendemäste wurden aufgestellt. Trotzdem hat Schota Arabuli, der in Korscha in Nieder-Chewsuretien wohnt, einen seiner Söhne in die Internatsschule von Schatili geschickt, die nur von Juni bis Oktober, und nur mit Vierradantrieb mit einer Fahrtzeit von 3 bis 4 Stunden erreichbar ist - weil Schatili, am äußersten Ende von Georgien, Internet per Satellit empfängt!

Bis zum August-Krieg kamen jedes Jahr immer mehr Touristen nach Chewsuretien. Wenn ab jetzt der Frieden erhalten wird, sehen die Chancen gut aus, dass dieser Trend noch zunimmt. Er würde andere Perspektiven für diese weit abgelegene Region in Georgien eröffnen.

Le Théâtre Mardjanichvili à Tbilissi : une scène pour les questions identitaires en Géorgie

Par Birgit KUCH, Université de Leipzig à Tbilissi/Leipzig
traduit en français par Nicolas LANDRU

Article paru dans caucaz.com le 17/02/2009



La société géorgienne a connu ces dernières années des changements rapides et des transformations continues, alors que le positionnement à l’égard du passé soviétique reste dans ce pays une question complexe et difficile. Quels moments historiques doivent êtres mémorisés et lesquels vaut-il mieux oublier : cette problématique reste le sujet de négociations constantes. Un regard sur les changements et les continuités vécues par le Théâtre Académique National Dramatique Mardjanichvili, à Tbilissi, fournit un exemple vivant de comment ces questions qui concernent identités, mémoires et représentations collectives sont discutées en Géorgie contemporaine.

Une nouvelle génération au Théâtre Mardjanichvili

Le Mardjanichvili, qui a fêté son 80ème anniversaire en novembre dernier, est un remarquable exemple du changement de génération, mais aussi des modes esthétiques, thématiques et politiques qu’on peut observer en Géorgie depuis la Révolution des Roses dans le paysage théâtral de Tbilissi comme dans d’autres domaines. Lorsqu’il rouvrit ses portes en septembre 2006 après trois ans de rénovation de son bâtiment équipé d’une scène à l’italienne et de 480 fauteuils, le Mardjanichvili avait aussi à sa tête un nouveau directeur artistique. Avec Lévan Tsouladzé, un diplômé de l’Institut Roustavéli de Théâtre et de Cinéma de Tbilissi, ce poste est désormais occupé par un représentant de la nouvelle génération de metteurs en scènes qui a ses racines dans la scène de théâtre indépendant de Tbilissi.

En 1997, Tsouladzé co-fondait le Théâtre Sardapi (“de la Cave”), où il mettait en scène un grand nombre de productions, principalement des comédies et des vaudevilles. Avec cet ensemble de travaux plutôt orientés vers le divertissement, il réussit à faire du Sardapi l’un des théâtres les plus populaires de la ville en répondant aux intérêts durables d’un public massivement jeune. En 2003, le succès du théâtre avait même permis l’ouverture d’une seconde branche du Sardapi dans le quartier de Vaké.

Aujourd’hui, Tsouladzé applique avec succès la même stratégie de création de spectacles attirants pour une audience jeune au Mardjanichvili, où il avait aussi travaillé temporairement pendant plusieurs années avant d’y devenir directeur artistique. En décembre 2005, il recevait une médaille d’honneur du président Saakachvili pour ses réalisations en tant que metteur en scène de théâtre, parmi d’autres lauréats qui étaient assez jeunes pour ne pas être entachés d’un passé soviétique. Ou pour ne pas être membres de la vieille élite, la soi-disant “intelligentsia rouge”, que Saakachvili a attaquée verbalement avec véhémence dans son discours de remise des prix (1). Cette cérémonie peut d’ailleurs être vue comme un exemple de continuation des traditionnelles pratiques soviétiques combinée à une rhétorique anti-soviétique qui n’est pas rare en Géorgie post-révolutionnaire.

En ce qui concerne le répertoire du Mardjanichvili depuis sa réouverture en 2006, on peut noter une remarquable hétérogénéité. Durant cette période, le répertoire n’a pas uniquement compris des Premières ou des nouveaux spectacles, mais aussi des productions créées avant la rénovation.

On y a joué ces dernières années aussi bien des pièces géorgiennes que des pièces étrangères traduites, comme ce fut depuis toujours le cas dans ce théâtre. Elles ont été dirigées par divers metteurs en scènes, parmi lesquels, naturellement, Tsouladzé. Nous voulons ici donner une idée des négociations qui ont lieu sur la scène du Mardjanichvili à travers trois spectacles populaires qui y ont été joués depuis 2006 et réalisées par trois metteurs en scène issus de générations différentes.

« Art » : une pièce occidentale jouée en Géorgie

La première de ces productions est « Art » de Témour Tchkhéidzé. Ce dernier fut diplômé en 1965 de l’Institut Roustavéli de Théâtre et de Cinéma en tant que metteur en scène. Dans les années 1980 il fut, comme Tsouladzé aujourd’hui, le directeur artistique du Mardjanichvili. Bien que depuis les années 1990, il ait travaillé en permanence au théâtre BDT à Saint-Pétersbourg, il retourne régulièrement au Mardjanichvili et dans d’autres théâtres à Tbilissi pour réaliser des mises en scènes, comme « Art » qui a eu sa Première en octobre 1999.

Trois amis d’âge moyen se disputent au sujet d’un tableau que l’un d’entre eux a acheté. Le canevas entièrement blanc de l’œuvre provoque au départ des questions sur le sens et la signification, mais progressivement, la discussion risque aussi de remettre en cause leur amitié. Dans cette adaptation pour la scène géorgienne de la pièce au succès international de l’écrivain française Yasmina Réza, Tchkhéidzé a travaillé de près avec le texte et utilisé des moyens minimaux. Il n’y a que très peu de design, en dehors d’un tapis qui sert en réalité de scène, quelques chaises et, bien sûr, le tableau blanc. La caractéristique principale de la mise en scène est le jeu d’acteur expressif et occasionnellement comique qui implique des échanges verbaux rapides des personnages et même de temps à autre, la rupture du « quatrième mur » et dirigeant la discussion vers les spectateurs.

Cette adaptation à la scène géorgienne a dépassé de manière frappante l’interprétation littérale de la pièce. On a naturalisé l’intrigue en donnant explicitement des noms géorgiens aux personnages et même au peintre mentionné (mais qui n’apparaît jamais). D’une part, en mettant en scène ce succès international pour les spectateurs du Mardjanichvili, le théâtre et l’audience participent à l’espace culturel occidental. Cela semble vrai aussi pour le contenu de la pièce, qui participe à une discussion de longue haleine à propos de l’utilité et des sens de l’art abstrait. En revanche, pour rendre l’histoire vraiment socialement significative aux yeux du public local, il semble avoir été nécessaire de créer un cadre clairement « géorgianisé » pour l’intrigue.

« Kakoutsa Tcholokhachvili » : Une épopée nationale géorgienne

« Kakoutsa Tcholokhachvili » a été mis en scène par Lévan Tsouladzé et représenté pour la première fois en mai 2007. Cette pièce porte sur le héros de la résistance Cholokhachvili qui s’est battu contre les bolcheviques dans les années 1920 a été écrite par Gouram Kartvélichvili, lequel a également reçu une médaille d’honneur du président géorgien en 2005. Pour cette production, le Ministère de la Défense était l’un des principaux partenaires du théâtre et sponsorisait 15 fusils utilisés à grand effet durant le spectacle.

Les commentaires du metteur en scène lui-même indiquent que cette réalisation peut être vue dans le contexte de la mobilisation intellectuelle militariste qui s’est développée avec l’augmentation du budget militaire en Géorgie, en réalité bien avant le déclenchement de la Guerre d’Août 2008. « J’espère que cette pièce sera intéressante et importante », déclarait le metteur en scène au journal anglophone Georgia Today en mars 2007. « Ce sera une saga héroïque qui servira les aspirations militaires en Géorgie au bénéfice de notre pays », continuait-il.

« Il m’est agréable de travailler sur cette représentation. Cela ne veut pas dire que le théâtre va se tourner vers l’héroïsme, mais je crois que ce genre est nécessaire à la population géorgienne aujourd’hui. Kakoutsa Tcholokhachvili est mon idéal. C’était un vrai héros. Je veux restaurer la popularité du métier d’officier en Géorgie, parce que je crois qu’il ne peut pas y avoir de meilleur travail pour un homme. » (2)

Par conséquent, le personnage central de Tcholokhachvili personnifie une image héroïque et peu scientifique du passé, qui possède bien des caractéristiques des grandes narrations historiques. Bien qu’il y ait quelques personnages féminins sur la scène, c’est un monde d’hommes que Tsouladzé a élaboré ici : en dehors d’un portrait de la vie, des faits et de la mort du héros, on y trouve plusieurs scènes de combat combinées à du pathos et à de l’humour paillard.

Alors que Tsouladzé soulignait avant la Guerre d’Août les glorieux exploits militaires du héros vaincu au final, un léger mais important déplacement de sens semble avoir eu lieu depuis. Aujourd’hui, la pièce paraît de plus en plus appropriée pour commémorer l’invasion de l’Armée Rouge qui a donné lieu à l’intégration de la Géorgie dans l’Union Soviétique. De plus, avec les expériences de la récente guerre avec la Russie, le portrait de l’invasion de 1921 tend aussi à représenter simultanément les évènements d’août 2008. Dans ce contexte, l’idéal de résistance héroïque face à l’envahisseur devient de plus en plus significatif, même s’il s’est révélé vain. De la sorte, le personnage historique de Tcholokhachvili, qui n’avait pas été officiellement commémorable pendant des décennies, pourrait même devenir un symbole pour la « lutte contre l’impérialisme » de 2008.

« Ouriel Acosta » : une sorte de musée nostalgique

Alors que « Kakoutsa Tcholokhachvili » est aligné sur la lecture officielle du passé qui promeut la mémoire d’une occupation soviétique oppressive, simultanément, une autre mise en scène du Mardjanichvili fonctionne comme un véhicule par lequel la mémoire nostalgique de l’époque soviétique semble possible : « Ouriel Acosta ». Cette pièce fut mise en scène par le fondateur du théâtre, Koté Mardjanichvili, en 1929, et remise au programme en 2006 par l’actrice récemment disparue Sophiko Tchiaouréli. Dans les années d’intervalle, la pièce a été reprise plusieurs fois par Vériko Andjaparidzé, la mère de Tchiaouréli, qui a d’abord joué le rôle principal, avant de le passer à sa fille. Ainsi, elle prit soin de transmettre la mise en scène de Mardjanichvili de la manière la plus authentique possible, un principe qui fut pérennisé par Tchiaouréli en 2006. Le résultat en est qu’un morceau du théâtre d’avant-garde des premières années soviétiques a survécu pendant des décennies à Tbilissi.

Cette pièce de l’écrivain allemand du XIXème siècle Karl Gutskow se situe dans la communauté juive de l’Amsterdam du XVIIème siècle. Le personnage principal, Ouriel Acosta, se révolte contre l’archaïsme et l’étroitesse d’esprit de son environnement qui l’empêchent aussi d’épouser celle dont il est épris, Judith. Après que celle-ci est forcée à devenir la femme d’un autre et qu’Ouriel est expulsé par les autres, le couple se suicide. En mettant en scène « Ouriel Acosta », Mardjanichvili appuie clairement le message révolutionnaire de la pièce. Avec ses expériences de l’Octobre théâtral en Russie, il est rentré en Géorgie après l’annexion soviétique et a continué à faire du théâtre révolutionnaire, posant en même temps les bases du théâtre moderne dans son pays. Cependant, le contexte historique et politique de la mise en scène ou ses liens avec le mouvement avant-gardiste n’apparaît pas comme la préoccupation majeure aujourd’hui. A présent, c’est la mémoire des stars trépassées qui étaient impliquées dans la mise en scène originale, et avec elles le bon vieux temps, qui paraissent occuper le premier plan.

Le résultat en est qu’il reste très peu d’espace d’interprétation pour le couple d’acteurs Nato Mourvanidzé et Nika Tavadzé (lequel incarne aussi Tcholokhachvili), qui ont hérités des rôles principaux dans la version contemporaine d’ « Ouriel Acosta ». Leur tâche est plutôt d’incarner leurs prédécesseurs. C’est ce système de transmission dynastique de la tradition qui donne au théâtre Mardjanichvili sa caractéristique de domaine d’autoréférence ou autrement dit de banque de mémoire. Les autres attributs très durables du Mardjanichvili étaient et sont sa particulière actualité, son enclin à être aligné sur l’esprit du temps, autant que sa proximité des détenteurs respectifs du pouvoir.

Ces trois mises en scènes représentées au Mardjanichvili indiquent qu’il existe dans le même théâtre, en concurrence les unes avec les autres, plusieurs images et narrations visant à répondre aux questions concernant les problématiques collectives. Cette pluralité de représentations vaut aussi pour l’ensemble du paysage théâtral de Tbilissi, où le Mardjanichvili tient sa position importante et particulière depuis déjà 80 ans.

(1) Voir : 31 Decembre 2005, President Saakashvili awards public figures with orders and medals of honor, http://www.president.gov.ge/?l=E&m=0&sm=3&st=1200&id=1281 (20.11.08)
(2) Maka Lomadze: The Catcher in the Rye and Georgian History: Innovations and Plans at Marjanishvili Theatre, dans : Georgia Today, 30.03.2007, version électronique : http://www.georgiatoday.ge/article_details.php?id=2612# (16.02.08)