mardi 19 mai 2009

Manifestations d’avril en Géorgie : ni révolution, ni évolution




Des opposants montent des tentes devant la résidence présidentielle à Tbilissi © RFE/RL

Par Nicolas LANDRU
Articles paru dans Caucaz.com le 17/04/09

Le 9 avril, jour de deuil national hautement symbolique en Géorgie, avait été annoncé par l’hétéroclite opposition politique comme point de départ d’une nouvelle course à la mobilisation populaire contre le régime du président Mikhaïl Saakachvili. Le but avoué d’une majorité de ces forces politiques était d’amener la rue à faire partir ce président qu’elle considère comme illégitime. Affaiblis par la perte des élections présidentielle et parlementaires de 2008, devenus muets pendant la guerre éclair d’août 2008 avec la Russie, les partis d’opposition ont tenu leur promesse et, depuis plus d’une semaine, investissent la rue. Mais le souffle battant de l’hiver 2007-2008 ne semble pas être au rendez-vous. Le gouvernement a changé de ton et prône le dialogue. Une stratégie qui ne convient guère à un mouvement qui parvient mal à remobiliser les foules à Tbilissi.



Depuis la sévère crise politique qui avait duré des manifestations de novembre 2007 aux élections parlementaires de juin 2008 perdues par l’opposition, les troubles internes qui avaient marqué la Géorgie avaient été relégués au second plan derrière l’urgence de la guerre d’août 2008 avec la Russie. Cette dernière avait marqué une pause dans les affrontements entre un bloc d’opposition précaire et le régime de Mikhaïl Saakachvili, tous les leaders de l’opposition ayant joué la carte de l’« unité nationale » derrière le président pendant le conflit.

Un difficile après-guerre pour l’opposition

La guerre a mal masqué le profond dysfonctionnement de l’équilibre majorité-opposition mis à mal par un perpétuel dialogue de sourds, l’utilisation de méthodes radicales et un contournement de la voie institutionnelle des deux côtés. Elle avait pourtant brusquement détourné l’attention publique, tant en Géorgie que pour le public international, d’une période dense en évènements aussi préoccupants que manifestations longues et massives, répression policière, état d’urgence, élection présidentielle anticipée, flous sur la légitimité des scrutins, instabilité et réversibilité des coalitions d’opposition.

Ce n’est que fin septembre 2008 que les leaders d’opposition avaient de nouveau élevé la voix, pointant cette fois la responsabilité du président Saakachvili dans l’avènement de la guerre et la victoire russe. Mais la vague de mécontentement populaire sur laquelle elle avait surfé s’est vite dissipée après le choc de la confrontation militaire. Une rupture dans la logique des partis anti-Saakachvili avait aussi été entamée : les thèmes de la falsification des élections et des violations des droits civiques par les autorités pendant les manifestations de novembre 2007 et les campagnes électorales, clés de voûte du discours de l’opposition avant-guerre, ont été quasiment abandonnés.

C’est que la guerre a été un traumatisme pour le pays. Outre le défi de l’urgence humanitaire face à la vague de réfugiés, ceux de la reconstruction des infrastructures détruites et d’une réorientation vis-à-vis d’une Abkhazie et d’une Ossétie du Sud désormais entièrement coupées de la Géorgie, ou ceux du constat d’une armée sévèrement atteinte et d’une Russie plus que jamais menaçante, doublés de la crise économique mondiale qui n’épargne pas la Géorgie, l’atmosphère politique s’est tendue d’un cran de plus.

L’opposition n’a que lentement reconstitué son discours contre le régime. La remise en place d’une alliance en bloc de ses divers composants a été difficile, tout comme la mise au point d’un nouvel agenda. Dans celui-ci, le mouvement contestataire espérait faire du 9 avril, jour de la commémoration de la répression des manifestations pacifiques de 1989 par l’armée rouge, le départ d’une nouvelle colère populaire à Tbilissi.

Une mobilisation peu endurante

Le 9 avril, après avoir célébré la mémoire des vingt victimes de la répression de 1989 aux côtés du président Saakachvili, les leaders de l’opposition avaient, d’après divers observateurs extérieurs, rassemblé quelque 50.000 personnes devant le Parlement géorgien pour réclamer la démission de Saakachvili. Ce chiffre représente environ la moitié des manifestations de janvier 2008 ayant fait suite à la réélection du président. Les contestataires déclaraient lancer un mouvement qui ne devrait prendre fin qu’avec la démission du président en place.

Le lendemain, alors que les leaders décidaient d’étendre les manifestations à différents endroits de la ville, dont le quartier d’Avlabari, autour de la résidence présidentielle, le nombre de manifestants avait décru sensiblement, certains observateurs parlant d'environ 25.000 personnes. Le 11 avril, la mobilisation s’essoufflait derechef, certains évoquant 4.000 à 6.000 personnes manifestant dans les rues de la capitale. Annonçant une pause pour le dimanche des rameaux orthodoxe, les leaders d’opposition parlaient pourtant d’une étendue du mouvement à l’ensemble de la Géorgie pour le lundi 13.

Alors que le mouvement se concentrait sur l’installation d’une trentaine de tentes autour de la résidence présidentielle, ainsi que sur un blocage de la station de télévision publique, occasionnant mardi soir la coupure d’un axe routier important, quelques centaines d’activistes font encore pression dans la rue à la veille du week-end de la pâque orthodoxe.
En contraste, les leaders parlent plus que jamais de lancer une campagne dans les provinces, généralement peu mobilisables, politiquement actives et électoralement acquises au régime en place. Après une hésitation face aux célébrations religieuses des 17 au 20 avril, les principaux leaders ont néanmoins déclaré vouloir poursuivre les manifestations à Tbilissi.

L’introuvable dialogue

Au cours de cette semaine de manifestation, une poignée d’incidents violents ont été dénoncés par l’opposition, notamment le 11 avril au soir, où selon eux une cinquantaine de personnes auraient attaqué les quartiers généraux des manifestants, détruisant notamment du matériel informatique. Le 14 avril, trois activistes de l’opposition auraient été battus par des hommes masqués en marge des campements autour de la résidence présidentielle.

Mais en dehors de ces débordements sujets à de vives controverses entre gouvernement et opposition, les autorités se sont pour l’instant contentées d’opter pour un encadrement policier des manifestations, sans donner de signes d’une escalade possible vers la répression physique. Le spectre du 7 novembre 2007, où les manifestations avaient été violemment dissoutes par les forces de l’ordre, est dans touts les esprits. Il laisse un grand point d’interrogation sur les possibles formes d’issue à ces évènements dont la rhétorique et la configuration, à l’exception, non des moindres, du nombre de manifestants, ne diffèrent guère de novembre 2007.

La suite des évènements est d’autant plus incertaine qu’aucune évolution n’est décelable dans les rapports entre opposition et gouvernement. Depuis une semaine, la même constellation qui prévaut depuis deux ans s’est une fois de plus affirmée. Le gouvernement a proposé comme compromis une mesure politique, le changement du mode d’élection du maire de Tbilissi, que l’opposition qualifie de dérisoire. L’opposition invite le président à un type de confrontation, un débat télévisé, que le gouvernement lui refuse. Le gouvernement appelle l’opposition au dialogue, mais cette dernière considère ce dernier inacceptable après l’emploi de la violence contre elle dans la soirée du 11 avril. Le gouvernement met à jour une tentative de complot orchestré par la Russie, par l’arrestation d’un « provocateur » russe, ouvrant sur une rhétorique de la trahison mettant à mal la légitimité de l’opposition politique. Laquelle se donne comme unique finalité le départ irrémédiable du président...

Ce cercle de l’absence du compromis et du dialogue, alimenté par des rhétoriques respectives qui se reposent à leur tour sur lui, s’est de nouveau installé dans la vie publique, dans les médias et dans la rue, entièrement au dehors des institutions démocratiques. Telle semble être la constante d’une relation entre gouvernement et opposition qui s’est mise en place dès la deuxième année ayant suivi la "révolution des Roses" et que pas même une guerre sur le territoire géorgien n’a enterré.

Autre question clé concernant l’issue du mouvement : les leaders d’opposition, anciens comme Levan Gatchétchiladze, David Gamkrelidze, et nouveaux tels qu’Irakli Alasania ou Nino Bourdjanadze, parviendront-t-ils encore à surmonter leurs profondes divergences ? Quoi qu’il en soit, il semble difficilement envisageable que ce mouvement d’avril puisse se montrer en mesure de répéter le scénario de la "révolution des Roses", sur lequel les leaders oppositionnels placent une fois de plus leurs espoirs. La majorité des Géorgiens semble ne pas être prêts à s’engager sur cette voie incertaine. Le pays ne s’est pas encore remis de la secousse d’août 2008, et la menace d’une nouvelle invasion russe reste pour l’instant le meilleur allié aux côtés du régime en place.

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