mardi 23 février 2010

Tsalka, où la pommes de terre vaut de l'or


La région de Tsalka est l'une des plus improbables de Géorgie. A à peine 70km de Tbilissi, sur les hauts plateaux volcaniques du Petit Caucase, Tsalka est pourtant l'une des villes les plus isolées du pays.



A l'époque soviétique, c'était l'une des régions agricoles les plus prospères de l'URSS. Ses pommes de terres étaient parmi les plus fameuses de l'Union. Mais avec la désintégration du territoire géorgien au début des années 1990, des années d'absence de l'Etat, de règne de seigneurs de la guerre et de mafieux, la région s'est retrouvée entièrement isolée.



Sur son haut plateau entre 1500 et 2700 mètres d'altitude, la région a vu ses routes rapidement devenir des tourbiers. De plus, c'est l'une des régions du pays qui a connu les plus grands bouleversements démographiques. La région était peuplée, avant l'effondrement du pays, d'une majorité de Grecs et d'une minorité d'Arméniens.



Paupérisés et tentés par l'ouverture des frontières de la Grèce à tous les membres de sa diaspora, les Grecs sont quasiment tous partis, laissant ville et villages abandonnés. Les Arméniens se sont retrouvés en majorité. Enfin, fin des années 1990 jusqu'en 2005, des Géorgiens victimes de catastrophes écologiques ont été relocalisés ici.

Le mystère des pommes de terres

Un dimanche de février, jour de marché à Tsalka, fin d'après-midi. Nous partons de Tbilissi et poursuivons notre route, dans une BMW immatriculée à Tbilissi, jusqu'à la ville de montagne reculée. Les Tbilissiens n'ont bien sûr qu'une idée en tête : acheter des pommes de terres moitié moins cher que dans la capitale. Après tout, nous sommes au paradis de ce féculent, là où il est le meilleur dans toute la région et peut-être même au-delà.

Au fur et à mesure que nous interrogeons les autochtones, le doute s'empare de nous. Que ce soient les quelques passant, souvent des femmes apparemment grecques ou arméniennes puisqu'elles ne comprennent pas le Géorgien, les pompistes ou le tenancier de l'unique magasin de la rue principale, des Adjares ou des Svanes, encore les quelques personnes croisées sur la route, visiblement des paysans eux-mêmes probablement cultivateurs de pommes de terre, la réaction est la même.

"Où peut-on acheter des pommes de terre?" entraine une réponse hâtive, réticente et peu naturelle : "Non, non" ou "Sais pas" ou simplement un signe de la main indiquant le non catégorique, qui contraste avec la sympathie du premier abord.

Au pays de la patate, pas moyen d'en acheter une seule, même à prix d'or.

Nous repartons bredouille, et nous disons que ces gens, loin d'ignorer où acheter des pomme de terre, refusaient de nous dire. Peut-être même, avaient peur. Une dizaine de kilomètres après avoir entamé la descente du plateau, nous croisons un camion en panne que nous avions déjà vu à l'aller. Plein à craquer de sacs de pommes de terre de 60 kilos. Nous demandons aux camionneurs de nous en vendre un. Aucun problème, cela leur fait un peu d'argent de poche. Moitié prix des marchés de Tbilissi. Nous demandons où ils se les sont procurées. "A Tsalka, pardi, où, sinon?"

Une seule explication parait envisageable. Le marché fonctionne ainsi : des grossistes achètent les pommes de terre à bas prix aux cultivateurs ou à de plus petits vendeurs de Tsalka pour les marchés de Tbilissi, et interdisent aux autochtones de vendre aux particulier. En somme, une version capitaliste du système kolkhozien qui existait ici à l'époque soviétique.

Redescendu dans la vallée, je parle de cette histoire. Et entends parler de quelqu'un qui, en Mingrélie, a essayé il y a quelques années de monter une vente d'herbes fines qu'il cultivait à des particulier. Et que l'entreprise n'avait pas pu se faire parce que la mafia locale interdisait de vendre à d'autres qu'à elle.

A Tsalka, l'effondrement de l'Union Soviétique aura changé bien des données, dans les données démographiques, en ce qui concerne l'état des infrastructures. Mais le fonctionnement économique des temps anciens, lui, semble avoir persévérer. Sont-ce les mêmes, les anciens directeurs de Kolkhozes, qui ont toujours la mainmise sur la région?

Photos : Nicolas Landru

4 commentaires:

sophie tournon a dit…

Finalement, elles étaient bonnes, ces pommes de terre???
Sophie

Nicolas Landru a dit…

Chère Madame, les meilleures du Caucase, peut-être avec celles de Djavakhétie, mais c'est le même ensemble géographique.
A peine un peu de beurre et de sel, rien de plus, c'est déjà un mets, un délice!
A Tbilissi, demandez toujours d'où vient la pomme de terre que vous voulez acheter, et ne le faites que dans l'un de ces deux cas.

Anonyme a dit…

Cet article tout à fait réjouissant est un compte rendu propotypique de la lèpre mafieuse gangrénante, à travers une analyse fort bien venue qui ne néglige pas l'approche instinctiviste dans son rationnalisme fort étayé par l'induscutabilité des exemples. On voit que le journaliste du Caucase ne craint pas les grands bonnets armés jusqu'aux dents. Veut-il les éradiquer ? A-t-il essayé le gratin dauphinois ?

Nicolas Landru a dit…

? Il y a depuis peu des commentaires étranges à mes articles. Cet anonyme ne veut-il pas dire son nom?