dimanche 1 juin 2008

Un royaume de Géorgie d’actualité ?

Article paru dans caucaz.com, édition du 17/10/2007
Par Nicolas Landru à Leipzig


© Nicolas Landru, Trône d'Irakli II, avant-dernier roi ayant régné en Géorgie, à Telavi (Kakhétie)

Au lendemain d’une importante crise politique en Géorgie, la déclaration du 7 octobre faite par Ilia II, le patriarche de l’église orthodoxe, en faveur d’une monarchie constitutionnelle, est un nouveau coup de théâtre après une quinzaine mouvementée. La plupart des partis d’oppositions, engagés dans un bras de fer avec le pouvoir, réclamant l’abolition du régime et l’instauration d’un système parlementaire, se sont engouffrés dans la brèche. Le président Saakachvili a ironisé sur l’idée, mais la voix du très respecté patriarche n’est en aucun cas à prendre à la légère, d’autant qu’aucun des « poids lourds » de la majorité présidentielle n’a rejeté l’idée d’une discussion sur le sujet. Et que Mikhaïl Saakachvili, le 14 octobre, a encore fait l’éloge de l’église orthodoxe et d’Ilia II lors d’une visite du patriarche œcuménique de Constantinople. Eglise qui apparaît plus que jamais comme un acteur incontournable de la scène politique géorgienne.

Fantômes de la désunion politique – la guerre civile et bien sûr la révolution sont un passé encore proche –, ores d’une justice de plus en plus arbitraire, prémices d’une orientation présidentielle du régime, ces facteurs sont-ils en amont d’un prêche pour le rétablissement d’une monarchie disparue depuis deux siècles, mais symbole de l’unité plus que millénaire du pays ? Ou bien l’idée représente-t-elle l’aboutissement d’un renouveau national-religieux en plein développement en Géorgie depuis la Révolution des Roses ?

Tentative de sortie de Crise ?

La déclaration du patriarche intervient au cœur d’un contexte politique intérieur particulièrement critique. Les tensions entre le gouvernement du Mouvement National et l’opposition ont pris, fin septembre, un cours nouveau. L’ancien ministre de l’intérieur, Irakli Okrouvachvili, qui avait été limogé en novembre 2007, a effectué un retour en force avec des déclarations scandaleuses visant le président lui-même. Après trois jours d’apparitions télévisées où ses dénonciations se succédaient, il était arrêté et emprisonné le 27 septembre, accusé de corruption et d’abus de pouvoir lors de l’exercice de son mandat. Une coalition de partis d’opposition, dont Okrouachvili était pour certains l’ennemi juré, manifestait aussitôt contre l’arrestation sommaire de ce dernier et contre l’instrumentalisation de la justice.

L’arrestation Okrouachvili, précédée de celle d’anciens de ses collaborateurs, peut apparaître comme une nouvelle étape de « nettoyage » opéré par l’équipe du président et celle du « Liberty Intitute » (dont le ministre de l’intérieur Vano Merabichvili et Giga Bokeria), qui neutralisent ainsi une fois de plus l’un de leurs anciens alliés. Et, selon les accusations de l’opposition, comme un pas de plus vers une « présidentialisation » du régime.

Nouveau rebondissement quelques jours plus tard : Okrouachvili se rétracte dans un repentir médiatisé au cours duquel il dit avoir à tort calomnié le président sous l’impulsion du millionnaire et magnat médiatique Badri Patarkatsichvili. Ce qui lui vaut, avec un bail de 10 millions de Laris, d’être libéré. Le 11 octobre, il dit abandonner la politique (il avait fondé son parti trois semaines plus tôt).

Ces évènement jetait un peu plus le flou sur les phénomènes en présence au sein du pouvoir géorgien. Le retour de Patarkatsichvili de Londres, où il s’était envolé au lendemain de l’arrestation d’Okrouvachvili, sa déclaration d’entrée en politique en raison de la gravité des évènements et la violente joute rhétorique engagée dans les médias entre le pouvoir et lui promettent un climat politique très tendu d’ici les élections présidentielles de fin 2008. Dans un discours véhément, Saakachvili déclare le 15 octobre que Patarkatsichvili est un prototype historique de « traître géorgien » ; entre l’équipe gouvernementale et l’oligarque, la guerre est déclarée. L’opposition entend quant à elle organiser une manifestation massive à Tbilissi le 2 novembre.

Incertitudes institutionnelles

En toile de fond, l’indéfinité du système politique géorgien actuel. Au lendemain de l’indépendance en 1991, la difficulté à créer des institutions démocratiques stables a prédominé. Le consensus a été long à émerger depuis la guerre civile et n’est aujourd’hui pas pleinement atteint (dans la mesure où deux entités territoriales appartenant théoriquement au pays n’adhèrent toujours pas au contrat institutionnel). Le régime politique établi par Chévardnadzé pour stabiliser la guerre civile était hybride et inachevé. Toutefois, il permettait dans la deuxième moitié des années 1990 l’adoption d’éléments d’une législation basée sur les modèles occidentaux. Au début des années 2000, la voie vers un parlement de plus en plus indépendant était ouverte. Cette émancipation était cependant ralentie par la corruption et les fraudes électorales auxquelles le régime de Chévardnadzé se livrait, et aboutissait en 2003 à la « Révolution des Roses ». Depuis, le nouveau régime a donné une impulsion au développement des institutions publiques, mais les amendements de 2004 à la constitution de 1995 diminuaient sensiblement le rôle du parlement et renforçaient l’aspect présidentiel du système.

En somme, la constitution de 1995 toujours en cours revêt un aspect provisoire. Certains éléments du système ne sont pas fixés ; ainsi, la législation électorale a été renégociée à la veille de chaque élection et est toujours une question majeure. « Les discussions sont en cours pour savoir quel type de Géorgie nous devrions avoir », affirme le patriarche en préambule de son apologie de la monarchie. Le système actuel est défini comme semi-présidentiel, mais est considéré par certains experts comme « super-présidentiel » ; ses partisans justifient l’extension des pouvoirs du président comme une étape transitoire vers un système européen, requise par la fragilité de l’Etat géorgien qui aurait besoin de réformes rapides. Nino Bourdjanadzé, présidente du parlement et alliée majeure de Saakachvili, déclarait le 11 octobre : « Un système de gouvernement présidentiel et en particulier un président fort, est très important pour la Géorgie à cette étape ».

Cet aspect transitoire toujours réaffirmé permet à l’opposition de taxer le fort pouvoir du président de « hors contexte » et d’« injustifié ». Plus encore, il rend envisageable tout projet de système pour le pays. En l’occurrence, face à l’impasse de la confrontation entre le Mouvement National et l’éclectique coalition d’opposition, entre velléités présidentielles et revendications parlementaires, l’appel d’Ilia II à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle de type britannique peut être lu comme une volonté d’éviter à la fois l’écueil d’une trop grande concentration des pouvoirs dans les mains du président, et celui d’un affaiblissement de l’Etat que pourrait engendrer un système parlementaire. Et avant tout, il est un appel à l’unité et à la cohésion nationale.

Renouveau national et religieux

La Révolution des Roses a été le tremplin d’une ascension de l’église orthodoxe en Géorgie. Ayant obtenu en 2002 un concordat avec l’Etat (statut privilégié, puisque les autres organisations religieuses du pays ne l’ont pas obtenu), l’église orthodoxe s’affiche depuis la révolution aux côtés du pouvoir politique. Et le pouvoir l’affiche. Ilia II siège aux côtés des officiels lors des plus importantes cérémonies, alors que l’orthodoxie n’a pas le statut de religion d’état. Le nouveau drapeau introduit en 2004 comporte une croix, alors que l’ancien n’en avait pas.

Mais le gouvernement n’est pas le seul à se réclamer de l’église : l’opposition n’a de cesse d’accuser le pouvoir de ne pas respecter la religion, Okrouachvili accusait Saakachvili de « haine intime » envers elle. Depuis 2003, le crédit de l’institution religieuse auprès de l’opinion publique est tel qu’aucun politicien ne saurait se positionner contre elle.

Signes extérieurs de la floraison de l’orthodoxie, des projets ecclésiastiques gigantesques sont entrepris, comme la construction de la monumentale église de la Trinité (Sameba) à Tbilissi, ou celle, en cours, d’un immense monastère dans le défilé du Darial, à quelques kilomètres de la frontière russe. C’est la statue de Saint-Georges qui trône désormais au sommet de la Place de la Liberté à Tbilissi, symbole, à la fois religieux et national, de la victoire. Lors de la visite œcuménique du 14 octobre, Saakachvili déclarait : « L’église orthodoxe est un phare pour la Géorgie et une force motrice en amont de son renouveau et de sa réunification prochains. »

L’avènement du nouveau régime est aussi lié à celui d’une identité nationale retrouvée. Le président n’hésite pas à se comparer au roi médiéval David le Reconstructeur. Signe de l’assimilation de la nation et de la religion comme source de légitimité, la cérémonie inauguratrice de Saakachvili s’est en partie déroulée au monastère de Gelati, sur la tombe du roi David. Le pouvoir brandit sans cesse certains évènements historiques, comme la bataille victorieuse de Didgori, tandis que le folklore national est associé à toutes les manifestations politiques, de la visite de Georges Bush jusqu’aux célébrations de la Révolution. Dans la mise en scène du pouvoir, l’aboutissement d’une « reconquête » de l’identité géorgienne, forte source de légitimité politique, passe par l’argument du droit historique, qui passe nécessairement par une large place donnée à la religion orthodoxe.

Le Mouvement National pris à son propre discours?

Les déclarations d’Ilia II vont dans un certain sens au bout de cette logique : si la Révolution, d’après les revendications du pouvoir qui en est issu, est synonyme de reconquête, territoriale, identitaire et religieuse, alors la restauration du Royaume de Géorgie comme aboutissement du processus n’est pas impensable. « Cela a été le but du peuple géorgien depuis la fin du règne des Bagrationi provoquée par l’annexion russe de 1801, de voir sa dynastie royale restaurée », déclare le patriarche. Sa proposition va dans le sens non seulement du mouvement culturel qui prend son essor depuis la révolution, mais aussi dans celui même du discours du Mouvement National. Le deuxième élément fort de ce dernier, au côté du national, étant le démocratique, l’instauration d’une monarchie sur le modèle britannique n’entre pas en contradiction avec les principes du pouvoir «post-révolutionnaire ».

L’opposition, elle, s’est aussitôt emparée de l’idée monarchique et prépare un débat au parlement pour le 25 octobre. « Nous, la plupart des partis d’oppositions, croyons que nous devrions avoir une forme de gouvernement parlementaire, et sa forme parfaite est la monarchie constitutionnelle », déclarait le 8 octobre un député du Parti Conservateur, Zviad Dzidzigouri. Diverses figures de l’opposition, comme Salomé Zourabichvili ou Konstantine Gamsakhourdia, se sont montrés fortement enthousiastes.

Reste que Saakachvili n’a pas réagi avant 6 jours à la déclaration du patriarche. « Ma grand-mère était aussi Bagrationi », ironise-t-il alors, « (…) ce serait même mieux, cela éviterait le besoin de préparer des élections, et tout pourrait être décidé sur la base des traditions familiales ». La majorité gouvernementale a déclaré qu’une monarchie constitutionnelle est à cette étape inappropriée pour la Géorgie, mais certains de ses députés l’ont dit « envisageable » après la restauration de l’intégrité territoriale du pays. Dans cette logique, le régime doit être provisoirement présidentiel pour conduire le pays fermement jusqu’à la reconquête de ses territoires « manquants », après quoi la structure définitive du pays pourra être décidée.

Diversion opérée par l’église orthodoxe pour empêcher la confrontation directe entre le pouvoir et l’opposition? Réel projet national, « qui pourrait toutefois prendre des années » selon Ilia II ? L’évocation d’une possible restauration de la royauté géorgienne marque en tous les cas une nouvelle étape à la fois dans l’équilibre des querelles politiques internes et dans le développement idéologique en Géorgie post-révolutionnaire. L'idée pourrait bien, pour beaucoup de Géorgiens, représenter l'unique garant contre les spectres de la discorde intérieure. Et aura sans doute eu de quoi surprendre les descendants directs du dernier roi de Géorgie Georges XII Bagrationi. Car si le projet doit se réaliser – cela a bien été le cas en Bulgarie –, l’heure sera aux querelles de prétention au trône. Celui-ci pourrait être revendiqué par différents membres de l’ancienne famille royale qui vivent aujourd’hui en Espagne, en Italie et en Géorgie.

1 commentaire:

ometiklan a dit…

Bonjour,

à vrai dire, plus je lis tous les articles proposés sur votre blog, plus la diversité/richesse du Caucase m'intéresse , plus je trouve ces inextricables (pour moi!) problemes soulevés aussi passionnants que pour un bon nombre pas toujours facile à appréhender voire pour certains, encore bien obscurs et, DE FAIT, plus j'ai de questions auxquelles j'espère que, sans abuser de votre temps, vous accepterez d'éclairer de votre savoir..

((voilà je tenais à ce court préambule qui se veut élogieux mais certainement pas flagorneur (!!) qui montre seulement tout l'intérêt d'un simple internaute que j'eprouve en découvrant un peu + chaque fois que je clique sur..votre blog ainsi que l'autre site caucaz.com (de vous aussi?)...et tous les éclaircissements souhaités que tous ces articles suscitent forcément! ))

...TOUT D'ABORD et en rapport à l'article que je viens de lire ,
les récents evenements politico-militaires avec la Russie renforcent-ils, d'après vous, une hyper présidentialisation du pouvoir ?

quelles répercussions éventuelles sur l'idée d'instaurer (restaurer?) une monarchie ?

A moins bien sûr que les Russes ne poursuivent leur élan offensif et annexent purement et simplement la petite république ..je me doute bien que vous n'êtes pas devin ..mais est-ce d'ailleurs plausible ?
Ces récents développements
vont-ils d'après vous,
consolider le pouvoir de saakashvili ou, au contraire, fragiliser son mandat et au-delà la structure politique même que tente de se donner la Géorgie ?


A quel type de "republique" ou de "démocratie" d'ailleurs, la Géorgie de saakashvili se rapproche t-elle le plus (par rapport au modèle républicain et français, hors aléas historiques propres à chaque nation) ?

...Hors les récents developpements qui obligent sans doute à réunir tous les Georgiens,
Saakashvili est-il représentatif ?
par qui se compose l'essentiel de l'électorat de Saakashvili ?
...Sans être un adepte des complots permanents qui expliqueraient tout (!) est-il vrai qu'il a fait des études juridiques aux USA ?
Ses choix pro-occidentaux, en particulier pro-Otan, étaient -ils très majoritairement partagés, (avant la guerre avec la russie), par les Géorgiens ?
...même par l'opposition ?


...Un dernier point!!

la parti de saakashvili le "mouvement national démocrate" s'apparente à quelle formation ou quelle famille politique pour trouver un équivalent français ?
à gauche ?
au centre-gauche ?


<<<<< MERCI d'avance pour tout éclaircissement que vous voudrez bien deja m'apporter sur ces sujets :)