lundi 2 juin 2008

Fête Nationale en Géorgie : cérémonie gouvernementale et manifestation de l'opposition se partagent le terrain



C’est au sein de fortes tensions politiques que la Géorgie a célébré sa fête nationale, l' anniversaire de la déclaration d'indépendance de 1918. Alors que depuis son arrivée au pouvoir en 2004, le président Mikhaïl Saakachvili célébrait le 26 mai dans le faste, la cérémonie officielle n’aura duré en cette année 2008 qu’une quarantaine de minutes. Pour laisser étonnement la place à la manifestation qu’une partie de l’opposition avait organisée dans un autre quartier de la ville.

5 jours après les élections parlementaires du mercredi 21 juin, la célébration Fête de l’Indépendance promettait d’être en Géorgie un symbole chargé d’enjeux politiques. Pour le parti au pouvoir, large vainqueur d’un scrutin dénoncé comme frauduleux par l’opposition, la célébration de l’anniversaire de l’indépendance allait de pair avec celle de sa propre victoire. D’autant que les tensions avec la république séparatiste d’Abkhazie et la Russie, qui touchent de près la question de l’indépendance géorgienne, avaient été au cœur de la campagne électorale du camp présidentiel. Pour une opposition tannée par le résultat du scrutin et par la reconnaissance internationale de ce dernier, il s’agissait non seulement de ne pas laisser la gloire de ce jour retomber uniquement sur le camp vainqueur, mais surtout de contester la victoire de ce dernier au moment de sa parade. D’investir la rue en même temps que lui et de tester sa capacité de mobilisation populaire.

Côté présidentiel, l’invité d’honneur était le président polonais Lech Kaczynski, allié stratégique de Mikhaïl Saakachvili, notamment face à la Russie. Malgré la présence de ce soutien européen, la cérémonie a été on ne peut plus courte.

Avant même que celle-ci ne commence, les partis d'opposition, alliés pour accuser les autorités d’avoir falsifié les élections, avaient entamé un meeting dans le quartier de Sabourtalo, une des bases populaires de l’opposition, perdue lors de ce scrutin. C’est que depuis la nuit qui avait suivi le vote, les opposants n’avait pas entrepris de manifestation de protestation. Le soir de la défaite, le rassemblement organisé à 23 heures au même endroit n’avait pas de quoi engendrer une révolution. Décompte partiel des suffrages, football et eurovision à la télévision, heure tardive et lassitude générale, les leaders ne pouvaient se targuer d’avoir la rue pour eux. Dans les jours qui suivaient, la mission d’observation de l’OSCE entérinait la légitimité du scrutin malgré « un certain nombre de défaillances » ; puis les chefs d’Etat occidentaux reconnaissaient à leur tour l’élection géorgienne, allant jusqu’à la nommer un « important test de démocratie ».





Bien qu’étant en possession de témoignages montrant irrégularités et violences dans un certain nombre de bureaux de votes en région, l’opposition est isolée dans ses allégations de fraudes. Son décompte alternatif des voix, qui donne les partis d’opposition vainqueurs alors que le décompte officiel attribue plus de 2/3 des suffrages au Mouvement National au pouvoir , ne rencontre pas plus d’écho. En outre, si le nœud de l’opposition reste allié – Opposition Unie, Républicains, Travaillistes –, le parti des Chrétiens Démocrates, fondé en février autour de l’ancien présentateur de la télévision d’opposition Imedi (et dont les rumeurs confèrent la création à une manœuvre du ministère de l’intérieur visant à diviser l’opposition), reste à distance du mouvement de protestation.



Dans ce contexte, le scénario de ce 26 mai est pour le moins surprenant. La cérémonie officielle de la fête de l’indépendance est inaugurée devant le parlement, sur l’Avenue Roustavéli, les Champs Elysées de Tbilissi, par de brèves salutations du président Saakachvili, puis par un discours tout aussi court du président polonais. Peu après, le meeting de l’opposition, qui avait commencé une heure plus tôt dans le quartier de Sabourtalo, fort de plusieurs milliers de personnes cette fois, se dirige vers l’Avenue Roustavéli. Les forces de police anti-émeutes, prêtes à combattre, sont déployées au commencement de l’Avenue lorsque l’on vient de Sabourtalo. Des bus urbains sont stationnés en travers pour faire barrage au cortège de l’opposition. Pendant que les opposants se rapprochent en criant "Micha va-t'en", la parade militaire défile rapidement sur l’avenue, une seule fois dans un sens, alors qu’à l’habitude elle fait plusieurs allers-retours. Puis les officiels ajoutent quelques mots et s'en vont ; la tribune se vide et la petite foule amassée ici se disperse.


C’est alors que les forces anti-émeutes, loin d’arrêter les manifestants arrivant sur Roustavéli, se retirent en vitesse et disparaissent du centre-ville. Le cortège de l’opposition investit l’Avenue, occupée quelque minute plus tôt par les officiels et des partisans du président. La tribune installée devant le parlement reste en plan et les factions des différents partis d’opposition viennent l’occuper les unes après les autres en scandant des slogans anti-Saakachvili. Puis les leaders s’installent à la place du président pour tenir des discours fustigeant l’illégitimité du scrutin, promettant le boycott du parlement par les élus de leurs partis et jurant de ne pas laisser le « régime » voler la démocratie au Géorgiens. Après quelques tentatives peu convaincantes de pénétrer dans le parlement, les manifestants écouteront les discours jusqu’à 16 heures, lorsque leurs leaders leur demandent de se disperser et appellent à tenir une autre manifestation lorsque le parlement tiendra sa première séance.

Un partage synchronisé de la conquête de l’Avenue Roustavéli ? Sans nul doute, l’arrivée des manifestants coïncidant parfaitement à la fin de la cérémonie officielle. Pourquoi les forces anti-émeutes ont-elles laissé les opposants conquérir la tribune vidée avec empressement ? Stratégie du camp gouvernemental visant à laisser passer la colère du mouvement de foule pour qu’il s’essouffle plus rapidement ? Marchés conclus entre gouvernement et opposition pour un partage de l’aura qui éviterait une confrontation violente ou trop de concessions ? En échange de quoi un camp vainqueur aux parlementaires laisse-t-il les vaincus conquérir pour un après-midi le parvis du parlement ? Quoiqu’il en soit, en cette fête d’indépendance, le pouvoir a ostensiblement décidé de lâcher une part de gâteau aux opposants frustrés du scrutin. Reste à voir si ces derniers lâcheront également du leste dans les semaines à venir, ou s’ils camperont sur une position sans compromis.

Texte : Nicolas Landru, le 26/05/08
Toutes les photos ci-dessus : © Nicolas Landru & Birgit Kuch

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