samedi 9 août 2008

Embrasement de l’Ossétie du Sud : vers une guerre russo-géorgienne ?

Article paru dans caucaz.com, édition du 09/08/2008
Par Nicolas Landru à Voiron


©REUTERS/David Mdzinarishvili

Suite à l’offensive géorgienne de la nuit du 8 août 2008 sur la République Séparatiste d’Ossétie du Sud, cette partie du Caucase semble s’embraser. Après une demi-journée d’offensive éclair de l’armée géorgienne, laquelle avait emporté de nombreuses positions, la Russie est ostensiblement entrée dans les combats pour prêter main forte aux milices des séparatistes ossètes, mettant le conflit sur la voie d’une guerre russo-géogienne.

Des semaines de tensions entre la Géorgie et les régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud avaient débouché sur plusieurs escarmouches mortelles entre milices sud ossètes et forces géorgiennes. Dans la nuit du 7 au 8 août, Tbilissi a lancé une attaque massive sur les positions ossètes aux alentours de la capitale séparatiste Tskhinvali.

Le 7 août en soirée, un représentant du Ministère de la Défense géorgien, Mamouka Kourachvili, déclarait que le camp ossète avait contrecarré la décision du président géorgien de prévoir un cessez-le-feu général en mitraillant un village géorgien. Par conséquent, selon lui, "le camp géorgien a décidé de restaurer l'ordre constitutionnel dans toute la région."

Le 8 août, vers 1heure du matin, soit quelques heures après que le président géorgien Mikhaïl Saakachvili ait proposé un cessez-le-feu général, l'armée géorgienne engageait des tirs sur les milices séparatistes dans la banlieue de la "capitale" sud ossète Tskhinvali. Puis elle lançait une opération d'envergure, au moyen de blindés, pour encercler la ville. Dans la matinée du 8 août, les forces géorgiennes semblaient s'être emparées de 8 villages ossètes et faisaient pression sur les quartiers périphériques de Tskhinvali.

Intervention russe

Dans la journée du 8 août, des colonnes de blindés russes franchissaient le tunnel de Roki qui sépare l’Ossétie du Nord de l’Ossétie du Sud, c’est à dire officiellement la Russie de la Géorgie.

Selon les autorités géorgiennes, des avions militaires russes auraient bombardé des points stratégiques en Géorgie, hors de la zone de conflit. Parmi ceux-ci, un poste de police était touché à Karéli ; plusieurs bombardements importants ont touché Gori, entraînant la mort d’un grand nombre de civils. En Géorgie occidentale, le port de Poti aurait subi d’importantes destructions et une base militaire à Sénaki a été touchée. En Géorgie orientale, l’aviation russe pilonnait la base militaire de Vaziani dans la banlieue de Tbilissi et un aérodrome militaire à Marnéouli, provoquant ainsi la mort de plusieurs personnes ; elle touchait aussi le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan à proximité. Des cibles civiles en différents endroits du pays ont à maintes reprises été évoquées. Les autorités parlent en outre de cyber-attaques sur la Géorgie, dont une partie du réseau internet a été coupé. Des sources d’informations et des sites officiels ont été visés. La Russie a contredit la plupart de ces informations, mais beaucoup d’entre elles ont été confirmées par des observateurs indépendants.

Dans la zone de conflit elle-même, les informations sur le déroulement des combats sont contradictoires selon les camps. Le 9 août au matin, le président géorgien Mikhaïl Saakachvili a affirmé que son armée contrôlait la majeure partie de l’Ossétie du Sud, dont la capitale Tskhinvali. Les autorités géorgiennes ont également déclaré que l’armée de l’air géorgienne avait abattu cinq avions russes, fait non confirmé côté russe. La porte-parole du gouvernement séparatiste, Irina Gogloeva, a quant à elle affirmé que la ville est sous contrôle ossète. Le Ministère de la Défense russe a également affirmé avoir emporté la contre-attaque et détruit les positions géorgiennes aux alentours de Tskhinvali. Il semble avéré des forces russes aient été parachutées à Tskhinvali et aient repris contrôle de la plus grande partie de la ville.

Urgence humanitaire

Il semble en tous cas certain que la majeure partie de ce territoire ait été désertée, alors que la capitale ossète est largement en ruine. Un journaliste de Reuters dit avoir vu des soldats géorgiens épuisés de retour entre Tskhinvali et Tbilissi, sur des routes désertes jonchées de tanks abandonnés.

Il semble qu’une large partie des habitants ait fui la zone des combats, en direction de l’Ossétie du Nord pour les Ossètes et en Géorgie intérieure pour les Géorgiens. A la veille de l’offensive géorgienne, les autorités sud ossètes avaient anticipé en évacuant quelques cinq cent personnes, majoritairement des enfants, en Ossétie du Nord.

D’après les sources disponibles, la situation humanitaire semble être très difficile sur le territoire sud ossète. Selon le Comité International de la Croix Rouge, les combats n’ont laissé aucune possibilité à la mise en place d’une aide humanitaire et Tskhinvali serait coupée de toute aide extérieure. L’hôpital de la ville aurait cessé de fonctionner et les ambulances ne pourraient pas accéder aux milliers de blessés. Le CICR appelle d’urgence à la création d’un couloir humanitaire.
Edouard Kokoity, le président de la République séparatiste, parle de 1600 morts côté sud ossète, des observateurs ont confirmé cet ordre de mesure. Le 9 août au matin, l’armée géorgienne fait état de 30 morts et les forces du maintien de la paix russe disent avoir perdu 15 de leurs soldats. L’atteinte de cibles civiles en divers points du territoire géorgien fait peser de lourdes inquiétudes sur une évolution dramatique des évènements, alors qu’aucune zone de la Géorgie n’est désormais à l’abri de bombardements.

Vers un régime de guerre

Les deux camps considèrent que l’autre a commis des actions équivalant à une déclaration de guerre et se rejettent mutuellement la responsabilité de l’escalade du conflit. La Russie en dénonçant l’attaque des Géorgiens sur ses forces du maintien de la paix et sur ses citoyens (une grande partie des Ossètes du sud ont un passeport russe). Le président Saakachvili a de son côté fustigé l’entrée de l’armée russe sur ce qui est officiellement le territoire géorgien, de fait contrôlé par les autorités séparatistes. Il a également dénoncé les bombardements qui selon lui ont été commis par l’aviation russe en Géorgie intérieure.

La détérioration du conflit s’est confirmée dans l’intervalle. Côté russe, Moscou affirmait le 8 août qu’elle maintiendrait ses gardiens de la paix en Ossétie du Sud, accusés par Tbilissi de combattre aux côtés des séparatistes. Puis le 9 août au matin, l’Etat-major russe déclarait qu’il s’apprêtait à renforcer ses effectifs dans la zone de conflit. Le président russe Dimitri Medvedev a également parlé d’un devoir d’actions punitives à l’encontre des « agresseurs » Géorgiens. Le président géorgien, enfin, décrétait le 9 au matin la loi martiale en Géorgie pour gérer le conflit.

Mikhaïl Saakachvili a par ailleurs rappelé les 2000 soldats géorgiens détachés en Irak pour venir servir sur le front. Il a également décrété la mobilisation totale de l’armée incluant les réservistes, une partie des hommes valides ayant effectué leur service militaire et désignés comme tels sur cette période. La journée du 8 août a vu des colonnes de régiments partant au front traverser les rues de Tbilissi ; des témoins déclarent même avoir vu des militaires venir chercher les appelés dans leurs foyers.

Dans le même temps, les autorités d’Ossétie du Nord ont formé des régiments de mercenaires volontaires désireux d’aller prêter main forte à leurs « frères » du sud. De 500 à quelques milliers d’hommes auraient ainsi rejoint les positions des milices séparatistes en Ossétie du Sud, accompagnant les colonnes de blindés russes.

Si la guerre en Ossétie du Sud commence à mettre en danger l’intérieur du territoire géorgien, elle risque également d’entraîner dans son sillon le conflit abkhaze, marqué lui aussi de violences au cours des dernières semaines. Les autorités séparatistes ont accusé la Géorgie d’avoir acheminé des troupes à la frontière, alors qu’elles entamaient le 8 août un déplacement massif de troupes dans cette direction.

Quel rôle la communauté internationale peut-elle jouer ?

L’offensive géorgienne a été lancée au petit matin de l’ouverture des Jeux Olympiques à Pékin, alors que les caméras du monde entier étaient braquées sur la Chine. Malgré tout, les médias mondiaux parlaient en Une, aux côtés de l’ouverture des jeux, d’une nouvelle guerre dans le Caucase entre le Goliath russe et le David géorgien. Dans la journée du 8 août, Mikhaïl Saakachvili appelait la communauté internationale à réagir pour stopper l’attaque russe qui pousserait la Géorgie à se replier sur un système d’autodéfense.

La diplomatie américaine s’est empressée de réitérer son soutien à l’intégrité territoriale de la Géorgie. Lors de l’offensive géorgienne, la diplomatie américaine, a sommé les milices ossètes de cesser leurs tirs. Après la contre-attaque russe, Condolezza Rice enjoignait à la Russie de retirer ses troupes du territoire géorgien et de stopper ses attaques aériennes. Malgré une rencontre furtive entre Vladimir Poutine et George Bush lors de la cérémonie d’ouverture des J.O. à Pékin, la Russie a catégoriquement refusé toute cessation de son déploiement militaire.

Cette double attitude a confirmé aux yeux des géopoliticiens le prisme d’un « conflit des grands » qui s’affronteraient dans le « pré carré » osséto-géorgien. En tous les cas, l’avortement des réunions du conseil de sécurité de l’ONU pour parvenir à une déclaration commune dévoile un important désaccord entre les deux puissances, plus fort à court terme que la volonté de faire cesser la tempête militaire.

Quant au reste de la communauté internationale, il a tardé à réagir, alors qu’en fin de la journée du 8 août les Etats européens, l’OTAN, l’UE ou le Conseil de l’Europe exigeait une cessation sans appel des hostilités. Les principales organisations internationales dépêcheront des émissaires sur place dans la journée du 9 août pour tenter de faire barrage au conflit et pour empêcher qu’il ne s’étende. Il semble cependant qui ni l’armée géorgienne, ni la Russie, ni les forces sud ossètes ne soient prêtes à obtempérer sur de simples appels à la paix. Et le risque d’un embrasement général de la région est de plus en plus à craindre.

2 commentaires:

Marc a dit…

Merci pour vos articles de qualité. J'ai répertorié votre blog ici : http://baronnet.blogspot.com/2008/04/leading-blogs-of-world-annuaire-mondial.html

Nicolas Landru a dit…

Merci beaucoup