Par Nicolas LANDRU à Bakou
© Nicolas Landru (marché Teze à Bakou)
Bakou, début 2007. Le boom économique et immobilier que connaît la capitale azerbaïdjanaise depuis trois ans bat son plein. En centre-ville, comme en banlieue, les tours se multiplient. De gigantesques ponts autoroutiers apparaissent en l’espace de quelques mois. Le parc automobile de la ville est saturé ; les embouteillages sont désormais routiniers sur les axes principaux. Mais ce visage du capitalisme pétrolier azerbaïdjanais a son pendant. Le 6 janvier, le gouvernement, qui contrôle l’ensemble de l’économie, a pris la décision de doubler les prix de l’énergie domestique, ce qui aura un effet domino sur l’ensemble du marché intérieur. Rude choc pour une majorité de la population azerbaïdjanaise qui a de plus en plus de mal à suivre.
Les médias azerbaïdjanais, en ce début d’année 2007, affichent une multitude de records pulvérisés par l’économie nationale. La liste est longue. D’après Today.az, l’excédent commercial du pays aurait été de 650% en 2006 ; l’actif de l’Azerdemiyolbank aurait augmenté de 79%, celui de l’Azerneqliyyatbank de 46% et celui de l’Azerbaijan Industry Bank de 60%. Le capital nominal des compagnies d’assurance azerbaïdjanaises aurait progressé de 22,4% ; les prêts investis dans l’économie azerbaïdjanaise seraient montés de 64%. La production agricole aurait battu tous les records avec une valeur de 1.894.731.200 manats.
Sur fond d’exportation pétrolière et gazière et d’investissements étrangers toujours à la hausse, les prix de l’immobilier à Bakou ont littéralement flambé. En deux ans, ce domaine de prédilection des investisseurs azéris a atteint des dimensions dignes des grandes villes européennes. Par comparaison, quand une location à Bakou ne se trouve guère en dessous de 600 manats par mois, le salaire minimum fixé par le gouvernement au 1er février est de 50 manats : ce marché s’est développé en ciblant la communauté internationale travaillant en Azerbaïdjan, en marge de la réalité sociale du pays.
La hausse des prix du 6 janvier ne provient cependant pas des fluctuations du marché : en Azerbaïdjan, les prix de l’énergie domestique sont fixés par le Conseil du Tarif, un organe gouvernemental dépendant du ministère du développement économique. Jusqu’alors, les tarifs sont subventionnés par l’Etat, dopant les prix à la baisse et prévenant une libéralisation du marché qui échapperait au contrôle du gouvernement. Ce système avait entraîné les critiques des organisations économiques internationales, en ce qu’il isolait l’Azerbaïdjan de l’économie mondiale.
Une déclaration du directeur de l’antenne bakinoise du Fonds monétaire international (FMI), Basil B. Zavoico, en novembre 2004, résume la politique de l’organisation à l’égard du pays : « après que les cours de l’euro et du dollar ont augmenté, le prix d’une Mercedes a augmenté. Pourtant, les consommateurs azerbaïdjanais continuent à en acheter. Personne ne s’est plaint. Pourquoi devrait-il en être autrement pour l’énergie ? »
En juin 2006, le représentant de la mission de la Banque mondiale à Bakou, Viktor Kramarenko, pressait le gouvernement de réduire ses subventions pour « augmenter les dépenses sociales ».
En accord avec la demande internationale, le Conseil du Tarif prend donc la décision d’augmenter les prix du gaz et du pétrole domestiques. Le coût de la gazoline est augmenté de 50%, devenant plus élevé en Azerbaïdjan (0,65$ environ) qu’aux Etats-Unis (0,62$) ; celui du diesel de 25%. Le kérosène est multiplié par 2,3 ; le mazout par 3,3. L’électricité connaît la hausse record de 650%.
Cette décision entraîne alors une cascade d’augmentations, tant dans le domaine des services que sur l’ensemble du marché domestique : le prix des transports en communs à Bakou augmente de 33% ; le 31 janvier, la décision est prise d’accroître le prix de l’eau de 40%.
Bien que le gouvernement ait déclaré que ces augmentations ne s’étendraient pas à l’ensemble de l’économie, les premières secousses se font vite sentir. Dans la foulée, certains produits utilisant l’une de ces sources d’énergies haussent leurs prix ; le 1er février, ce sont les journaux, après que les tarifs de publication ont doublé. Naturellement, les domaines les plus variés de l’économie domestique connaissent un choc : le prix du pain a doublé, celui des voitures grimpe. En général, tous les secteurs du marché sensibles aux coûts de l’énergie devraient inévitablement voir leurs propres prix s’aligner.
Les arguments du gouvernement - s’aligner sur l’économie mondiale, augmenter les recettes de l’Etat et lutter contre la contrebande des produits azerbaïdjanais – n’auront guère convaincu les experts indépendants qui ont dénoncé, outre le coût social, les risques d’une inflation galopante.
Apathie?
Prise au dépourvu, la société azerbaïdjanaise n’a pas bougé. Si la mauvaise humeur s’est faite sentir, elle n’a pas dépassé les altercations entre chauffeurs de marchrutkas et passagers. L’heure ne semble pas être à la protestation populaire. Certes, certains partis d’opposition, tel Musavat, ont exprimé leur indignation et leur crainte de voir le pays dirigé vers la banqueroute. Mais malgré leur menace d’organiser des manifestations, rien n’est pour l’instant allé au-delà des déclarations.
Pour contenir le mécontentement, le gouvernement a opéré quelques actions de réindexation des revenus : au 1er février, ceux des employés de l’Etat étaient revus à la hausse de 25%, en même temps que les retraites et les salaires minimums. Mais alors que cette hausse des prix, la quatrième depuis 1991, s’élève en moyenne à plus de 50% - la dernière, celle de 2004, était de 10 à 12% - , ces mesures peuvent paraître pâles au consommateur azerbaïdjanais, d’autant qu’elles jettent de l’ombre sur la logique de l’opération. Dans ces conditions, la presse internationale s’est interrogée sur une possible explosion de colère populaire.
Mais la main de fer du régime Aliyev semble l’emporter. Quelques jours après la hausse des prix, le bruit court à Bakou qu’un homme se serait immolé par le feu devant le palais présidentiel en guise de protestation. L’information, sur le fait évoquée dans les médias, n’est plus mentionnée le soir même et disparaît des médias en ligne.
Le journaliste Bakhtiyar Hadjiev, qui avait fait campagne contre la hausse des prix, aura passé 12 jours en prison, de quoi dissuader d’autres protestataires.
Membre d’une ONG étudiante, Etimad s’irrite contre la passivité de ses compatriotes : « le gouvernement peut bien faire ce qui lui plaît : personne ne réagira en Azerbaïdjan. Il n’y a pas de souci à se faire, la "révolution des grenades" n’est pas pour demain. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire