samedi 31 mai 2008

L’oligarque Badri Patarkatsichvili se retire de Géorgie

Article paru dans caucaz.com, édition du 11/03/2007
Par Nicolas LANDRU à Tbilissi


© Paata Vardanashvili

Badri Patarkatsichvili, l’un des plus célèbres oligarques géorgiens, a quitté la Géorgie. Le 5 mars 2007, il l'a annoncé depuis Londres, soulignant vouloir quitter définitivement le pays, ainsi que déplacer ses affaires « de Géorgie en Occident ». Le millionnaire, auquel on attribue une influence de premier rang sur le plan financier mais aussi médiatique, co-détient l’un des plus importants groupes de médias géorgiens, Imedi, qui comprend une radio et une télévision.

La décision de l’oligarque, quoique ambiguë et réversible, porte un dur coup à l’économie du pays, dont Patarkatsichvili était l’un des plus dynamiques animateurs : il avait investi des dizaines de millions de dollars en Géorgie depuis 2001. Sans nul doute un mauvais signe pour la situation politique d’un pays leader en terme de démocratie et de libéralisation dans le Caucase, dont le climat ne semble pourtant pas aussi favorable aux affaires que le régime ne voudrait en donner l’image.

Le Kremlin, après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, s’était empressé de se débarrasser de ces oligarques parvenus sur le devant de la scène pendant les incertaines années Eltsine. En Russie à cette époque, le manque de législation, le passage brutal à l’économie de marché et la faiblesse des politiques avaient permis des enrichissements fulgurants. L’un des plus connus de ces « nouveaux russes », Boris Berezovski, avait cependant contribué à la prise du pouvoir de Poutine. Mais ce dernier devait dans la foulée se lancer dans une grande opération de nettoyage à l’égard de ceux qui « ont sucé le sang de la nation », et Berezovski devait en 2001 trouver refuge à Londres.

Six ans plus tard, son ami et associé géorgien Badri Patarkatsichvili – ils ont construit leur fortune ensemble – s’exile dans la même ville et pourrait laisser croire que le même type de politique à l’encontre des businessmen se met en place en Géorgie. Victime de la même politique du Kremlin, Patarkatsichvili est actuellement, comme Berezovski, poursuivi par la justice russe. Après des années de repli dans son pays natal, son nouvel exil fait beaucoup parler.

Le rôle joué pendant ces quelques années par Patarkatsishivli sur la scène politique géorgienne est complexe. A l’inverse du « millionnaire sans visage », l’imérétien Ivanichvili qui vit à l’abri des médias, Patarkatsichvili a cherché à être un acteur de premier plan dans la vie publique du pays. Il détient des investissements « clés » dans l’économie nationale, comme le terminal pétrolier de Koulevi sur la mer noire ou une part importante du marché immobilier. Il a aussi fondé le puissant groupe de lobbying Fédération des Businessmen Géorgiens (FGB) ; il a en outre beaucoup investi dans des entreprises « caritatives », au nombre desquelles la télévision Imedi. Il a en effet toujours justifié l’existence de celle-ci au nom de la liberté d’expression et d’information qu’elle incarnerait en tant qu’unique alternative aux chaînes sous contrôle du gouvernement. Imedi représente l’unique réel contrepoids à la chaîne Rustavi 2, progouvernementale, et aux chaînes publiques 1 (Pirveli) et 2 (Gbp).

En 2006, Patarkatsichvili avait à plusieurs reprises élevé la voix contre la politique du gouvernement. Il avait accusé ce dernier d’extorquer les entrepreneurs en vue soi-disant de collecter des fonds visant au « développement des mesures exécutives ». Il avait aussi exprimé ses craintes à propos de l’image que les autorités tentaient de donner des businessmen et de lui-même, celle d’un ennemi, faisant ainsi une allusion directe à la politique de Poutine à l’égard des oligarques. Non sans certaines raisons, puisque le gouvernement géorgien avait immédiatement réagi à ses critiques en y dénonçant l’activité des oligarques criminels et dirigés par Moscou.

Un départ ambigu

Le conflit entre Patarkatsichvili et le régime du Mouvement National s’est ensuite développé autour de l’information « d’opposition » diffusée par Imedi, qui n’a eu de cesse de révéler des cas compromettants pour le gouvernement, et que ce dernier qualifie de calomnies. Cette escalade d’accusations a engendré de nombreuses spéculations sur les ambitions de Patarkatsichvili, qui selon certains tenterait de se tailler une place avant tout politique à Tbilissi.

Nombre d’analystes politiques ont défini la situation comme un combat enclenché entre le gouvernement, qui jusque récemment contrôlaient la plupart des entreprises, et les oligarques, qui ont graduellement pris un poids politique important en investissant dans les médias et dans les partis d’opposition. Dans ce cadre, le possible départ du millionnaire avait déjà été évoqué. Dans la perspective du contrôle de leviers politiques et économiques clés de Géorgie, son exil soudain pourrait bien être une étape importante.

Pourtant, dans les évènements récents, rien n’est clair. Si parmi les politologues de Tbilissi la rumeur court que Patarkatsichvili aurait été molesté par des hommes du Mouvement National, les raisons que l’oligarque a invoquées pour son départ n’ont pas été confirmées par les autorités ni par les analyses. Il avait accusé le gouvernement d’avoir l’intention de l’extrader vers la Russie, où il est passible d’une peine de prison. Ce que nie le procureur général de Géorgie.

L’autre argument mis en avant par Patarkatsichvili est directement politique : le millionnaire exprime son refus d’être engagé dans les luttes politiques internes entre gouvernement et opposition, et de voir son nom instrumentalisé d’un côté ou de l’autre. Mais cet apparent retrait de la politique s’accompagne d’une ambiguïté de taille, puisqu’il ajoute qu’il pourrait être forcé d’entrer en politique étant donnée l’extrémité des circonstances.

Retraite ou retour en force ?

Le monde politique géorgien a vivement réagi aux déclarations de Patarkatsichvili. Le leader du parti d’opposition Républicain, David Ousoupachvili, a exhorté l’oligarque à clarifier sa position, tout en pointant le danger que ce dernier représente pour les autorités de par sa prestance sociale et son pouvoir médiatique. Il a même exprimé sa certitude de ce que les autorités poursuivront leur « attaques hystériques » à son encontre.

En vue des élections présidentielles de 2008, le départ de Patarkatsichvili, qui pourrait bien être une retraite stratégique, fait des vagues à Tbilissi, l’opposition insistant sur sa possible entrée en politique à travers un parti existant ou par la création d’une nouvelle force. Les partis d’opposition essaient d’ores et déjà d’établir des alliances pour contrer le bloc du Mouvement National.

Badri Patarkatsichvili avait sans nul doute anticipé sa retraite : l’année dernière, il vendait son principal investissement en Géorgie, le terminal pétrolier de Koulevi, à la compagnie pétrolière nationale d’Azerbaïdjan (SOCAR). Son départ marque un tournant dans la structure du marché géorgien, sur lequel il était omniprésent, et sème le doute sur la future composition du paysage politique interne. Et il montre encore qu’affaires et politique sont très imbriquées et personnalisées dans ce pays qui malgré ses résolutions pro-occidentales a encore du mal à offrir de la stabilité aux investissements économiques.

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