mercredi 28 mai 2008

L’exil incertain d’Azer Samedov

Article paru dans l'édition du 30/10/2006
Par Nicolas LANDRU à Tbilissi




© Nicolas Landru - Mosquée de Tbilissi

Autrefois figure majeure de la défense des libertés religieuses en Azerbaïdjan, Azer Ramizoglu Samedov est aujourd’hui, à Tbilissi, prisonnier d’un exil incertain. Poursuivi dans son pays par le régime Aliev, il a été arrêté par les autorités géorgiennes le 31 mars pour être extradé vers l’Azerbaïdjan, où il risque sept ans de prison. Aidé par des militants des droits de l’homme et par la médiatisation de l’affaire dans la presse géorgienne, il a obtenu, le 14 avril, la liberté provisoire jusqu’à son jugement. Depuis, Azer Samedov est isolé, sans droit d’asile ni passeport, dans la peur d’être extradé en main basse. Son procès s’ouvre le 31 octobre, et il se pourrait bien que le statu quo s’éternise.

M. Samedov a été poursuivi par le parquet de Bakou au lendemain du scrutin présidentiel du 15 octobre 2003, largement falsifié par le pouvoir en place. Il y dirigeait un groupe d’observateurs électoraux. Au lendemain du vote, les opposants ont manifesté et ont été confrontés à une violente répression dont M. Samedov fut l’observateur. Il a officiellement été accusé de « participation à l’émeute », ce qui couronnait une escalade d’ennuis auprès des autorités, après que son ONG, le Centre pour la Protection des Libertés de Conscience et de Religion (DEVAMM) avait apporté son soutien au candidat de l’opposition Isa Gambar. D’autres membres de l’organisation ont été internés, et la société religieuse que M. Samedov dirigeait, l’Islam-Ittihad, fermée sous accusation d’extrémisme islamiste.

En 2005, M. Samedov s’installe en 2005 à Tbilissi, capitale de la Géorgie voisine qui compte une importante communauté azerbaïdjanaise. Il y ouvre une filiale du DEVAMM, le Centre Caucasien, qui organise cours et monitoring en matière des droits de l’homme et des libertés religieuses.

Fragile équilibre entre Bakou et Tbilissi


Le 31 mars 2006, il est arrêté dans la rue, à Tbilissi, par les services de sécurité géorgiens, puis emprisonné, en dehors des conditions légales selon Emil Adelkhanov, fervent activiste des droits de l’homme en Géorgie et défenseur de M. Samedov. Le ministère de l’intérieur géorgien a l’intention de l’extrader : le mandat du procureur mentionne que les autorités azerbaïdjanaises sont dans le droit de décider de son cas en Azerbaïdjan ; que son expulsion ne représente aucun danger pour lui, puisque tous ses collaborateurs anciennement emprisonnés ont été placés sous liberté surveillée et qu’ils ont la possibilité de lui rendre visite à Tbilissi ; que les autorités géorgiennes sont certaines qu’il a choisi la Géorgie non comme asile, mais comme place d’arme pour mener des activités politiques perturbatrices en Azerbaïdjan.


Tbilissi aurait donc répondu au mandat d’arrêt transmis par Bakou. Cependant, selon certains analystes, Tbilissi aurait fait appel à Bakou pour se débarrasser d’un hôte encombrant qui risquerait de former un centre de dissidence azerbaïdjanaise à Tbilissi et qui pourrait déstabiliser la loyauté politique de la communauté azerbaïdjanaise de Géorgie. C’est que l’équilibre azerbaïdjano-géorgien est fragile.

Bakou a deux leviers de pression sur son voisin. D’une part, ses ressources naturelles ainsi que ses gazoducs et oléoducs sont pour Tbilissi l’unique alternative à Moscou. D’autre part, la communauté azerbaïdjanaise de Géorgie, forte d’environ 300.000 âmes, est largement fidèle aux autorités d’Azerbaïdjan. Mais si les relations bilatérales venaient à se détériorer, la communauté pourrait sortir de sa loyauté passive. Il est donc dans l’intérêt de Tbilissi, d’une part de répondre aux attentes de Bakou, et de l’autre d’éviter tout contentieux comme, par exemple, l’installation d’une dissidence au régime Aliev en Géorgie.

Mais Tbilissi a d’autres impératifs. La Géorgie de la « révolution des roses » a imposé sur la scène internationale l’image d’une démocratie post-soviétique modèle, défenseuse des libertés et de droits de l’Homme. En ce qui concerne Samedov, elle a ratifié la Convention contre la torture ; or ces pratiques en Azerbaïdjan ont été souvent dénoncées. Parmi les quelque 600 personnes appréhendées à la suite de l’élection présidentielle de 2003, plus d’une a affirmé avoir été torturées. Mais cette ratification entre en contradiction avec l’accord signé en avril 2002 entre Tbilissi et Bakou en matière de lutte anti-terroriste.

Ce dilemme pourrait bien être la cause de la libération provisoire de M. Samedov dans l’attente de son jugement. Les organisations des droits de l’homme, la FIDH, Amnesty International et Human Rights Watch, se sont mobilisées. Le quotidien géorgien Rezonansi a également pointé le cas Samedov avec bruit. Pris en tenaille entre leurs impératifs régionaux et leur image internationale, les autorités géorgiennes ont lâché du leste face à la pression, ce qui constitue un relatif succès pour les droits de l’homme dans ce pays.

Sous pression

Cependant, M. Samedov a été plongé dans une situation intenable, n’obtenant garantie d’aucun statut légal et vivant dans la peur d’une proche extradition. Une fois l’attention médiatique relâchée, la société tbilissienne lui a vite été aliénée. Après ses 15 jours passés en prison, le matériel informatique et les fonds de son ONG étaient confisqués, puis dilapidés.

Ses relations en Azerbaïdjan, étroitement surveillées par le régime, ont pris leurs distances. De même, la communauté azerbaïdjanaise de Tbilissi a évité de se rapprocher de lui, ne tenant pas à briser son fragile équilibre entre les deux pouvoirs. Les ONG géorgiennes ne se sont pas non plus penchées sur son cas. Pour Emil Adelkhanov, « elles et lui ne parlent pas le même langage. Les ONG de Tbilissi ne s’intéressent ni aux problèmes azerbaïdjanaises, ni au point de vue d’un Azerbaïdjanais sur les problèmes géorgiens ».

Les diplomaties occidentales en Géorgie se sont, à leur tour, tenues à l’écart de tout engagement. Les démarches opérées pendant l’été pour attirer l’attention des ambassades ou de l’OSCE ont débouché sur des déclarations d’impuissance ou sur de fraîches mises en attentes. Certaines ont affirmé n’être prêtes à quelque chose que si elles en recevaient la demande de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU, laquelle tarde à s’engager.

Pris en filature régulièrement, le défenseur des libertés religieuses a subi à la suite de sa mise en liberté provisoire une pression constante. Dans la peur quotidienne d’être extradé illégalement à la frontière azerbaïdjanaise, il a attendu son procès dans une quasi-isolation, Emil Adelkhanov étant l’une des rares personnes à n’avoir pas lâché son soutien.

Un antécédent

Azer Samedov est, publiquement tout au moins, le premier dissident azerbaïdjanais à avoir pris Tbilissi pour exil. Son arrestation, sa menace d’extradition, l’intervention d’organisations des droits de l’homme, tout dans son cas constitue un antécédent.

Si l’attention médiatique s’est relâchée après son arrestation, celle de ses filateurs s’est également réduite dans les dernières semaines. La Géorgie a d’autres priorités, et si les activistes des droits de l’homme parviennent à maintenir leur pression sur le régime, il est fort possible que le procès s’éternise.

« Je ne vois pas de possibilité d’amélioration en Azerbaïdjan pour l’instant », confie M. Samedov. « La situation est terrible ». Selon lui, « ce que la Géorgie représente en termes de démocratie et de société civile est extrêmement précieux pour tout le Caucase. Le chemin qu’elle prendra à l’avenir sera décisif pour toute la région ».

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